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Quai Docteur Girard - 38520 Le Bourg d'Oisans, Alpes du Dauphiné - Isère, France

mardi 10 mars 2009

Je fais route avec Lella, yeux de braise sous le chèche noir. Les pas sont légers malgré la rudesse du paysage. Nous avançons rapidement, silencieux, n’ayant que le regard pour communiquer. Sa voix s’élève pour le chant du nomade, doux et puissant à la fois, et se termine comme une plainte. Hymne à Dieu ? Hymne à l’Amour ? La fatigue s’envole, bercée par la musique céleste qui accompagne chaque empreinte, beauté pure qui peuple ces gens et ce désert.
Les émotions se taisent pour mieux être.
Au bivouac, soirée autour du feu, et dans la lueur des flammes, le regard de ces hommes qui sourient et me fascinent.
J’observe la préparation du pain du désert : de la farine mélangée avec de l’eau qui donne une pâte consistante. Longuement malaxée, elle prend la forme d’une galette que le chamelier enfouit sous la cendre et recouvre de sable. Un vrai régal quand le pain sort tout chaud des cendres.

Lella et moi, nous nous rapprochons et dans le sable, il me dessine les traces d’animaux, puis nos prénoms en arabe, et j’apprends à écrire « Marie ».
Ses doigts sont légers et volent sur le sable. C’est un cahier dans lequel nous glissons nos premiers mots, complices, et avides de savoir. Inlassablement, il me montre la trace du chameau ou l’empreinte de l’oiseau … que je retranscris avec peine ! Œuvre éphémère mourant sous la caresse de la main.
Je n’ai pas sommeil ; encore envie de prolonger cet instant …
J’accompagne Lella et Nemed qui partent récupérer les chameaux afin de les entraver pour la nuit.
Obscurité étoilée … je marche dans cette nuit, ne sentant que le sable sous mes pas. Les étoiles sont toujours à la même place et brillent seulement pour nous.
Je revêts le manteau de la nuit pour me fondre dans l’envol de la liberté. Je possède le monde. J’avance vers l’infini et je sais que chaque pas est une miette d’éternité dans mon présent. Mes mains se tendent et s’ouvrent en une coupelle de désirs. Je tournoie jusqu’au vertige pour m’enivrer d’espace et d’étoiles. Libre, je vais à la découverte de l’authenticité, de la vérité. J’ai envie de courir, encore et encore … Et nous courons dans les dunes …
Et dans cette nuit magique, ils chantent pour moi. Je partage avec eux, du plus profond de moi-même, cette osmose avec le désert que j’épouse à tout jamais.
… Ensemble, la solitude et la générosité …
Cette nuit là, je deviens femme du désert, femme de nulle part.
Cette nuit là, le désert me dessine l’amour et je me laisse fondre dans cet amour.
Il m’offre le plus beau cadeau qu’une femme puisse souhaiter : une pluie d’étoiles et de lumière et l’infini du sable pour devenir.
… S’arrêter pour écouter battre le cœur du désert … S’arrêter pour écouter le désir du désert …
Cette nuit là, je deviens femme nomade, emprisonnée d’espace et de liberté, femme de l’immensité.
Cette nuit là, je deviens femme d’un ailleurs qui embrasse et étreint avec douceur.
Cette nuit là, je deviens femme d’un regard, femme de millions de poussières.
Cette nuit là, l’éternité est le présent offert dans l’abolition du temps.
Rien à dire, rien à attendre puisque tout est là.
Présence muette de tout dans le silence qui prend part à la solitude.

La nuit est bien avancée quand nous revenons au campement.
A la lueur des braises qui se consument, j’entends les légendes qui voilent le désert, celles qui parlent d’un bout de sable au milieu de nulle part, celles de l’amour du désert, celles du nomade qui vit au diapason de la ronde des astres et celles qui m’invitent aux rêves.
Dans le monde, je me consume. Dans le monde, je me meurs. Dans le désert, je vis.
Glissée dans mon duvet, je ne peux trouver le sommeil. Eux, chuchotent.
Je regarde les étoiles, je lis les étoiles, je lis le ciel …