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Quai Docteur Girard - 38520 Le Bourg d'Oisans, Alpes du Dauphiné - Isère, France

dimanche 29 mars 2009

Aujourd’hui, quatre heures de piste et arrivée sur la superbe plage de Tafarit. La bordure occidentale du Sahara se caractérise par une côte quasi inhabitée, de sable, d’eau et de plages vierges, de cinq cent kilomètres de long. Le vent de sable fait son apparition, mais les paysages sont toujours empreints de grandeur et d’infini.
Je pars me promener le long de la plage, enfin seule, pour me ressourcer. Je respire à pleins poumons cette odeur d’iode pour me purifier, pour me retrouver.
En moi, intacte la nostalgie des jours précédents. Je dois me réveiller doucement pour naître à une autre perception. Le désert est le même, et pourtant ...
Je ferme les yeux pour atteindre à cette autre dimension, celle que je palpais vers Chinguetti. Ce désert là me manque.
Ici, une autre approche, une autre écoute, celle des vagues et du ressac. C’est captivant et serein. Le bien-être prend enfin possession de moi lorsque le jour se meurt et que la nuit s’annonce velours.
Ce soir là, je discute longuement avec Aïssa, en quête lui aussi de sa Légende personnelle. Tout coule simplement puisque nous nous comprenons.
Ce voyage est source de rencontres.
Elles sont symbole de partage, d’émotions, de silences pleins de mots, de perception d’immensité et d’infini.
Mes rencontres ont le goût du sable et des étoiles et sont le ferment du « mieux » en moi. Dans les racines de mon intime, je perçois la source pleine de joie et de sérénité que je cueille à chaque instant. Tout est silence, et ma tête et mon cœur sont silence.
Le duvet est le bienvenu, mais comme les autres soirs, le sommeil me fuit … peut-être le thé !
Le banc d’Arguin, tristement célèbre depuis le naufrage de la Méduse, est une immense étendue où la terre et la mer se mêlent étroitement.
Le littoral est peuplé par des tribus de pêcheurs : les Imragen, seules tribus maures de race noire. Ils ont conservé leurs traditions et leurs méthodes de pêche. Cette région est un véritable paradis pour les poissons qui y pullulent, comme le mulet ou la courbine.

Les villages, adossés à l’immense étendue désertique du Sahara, sont tournés vers la mer dont ils dépendent complètement.
Quand le désert sec et brûlant, aride et sans végétation, vient plonger dans l’océan Atlantique, la rencontre de ces deux immensités crée une zone où la vie sauvage explose à l’abri des dégradations de l’homme.
Le sol est tapissé de nids de sternes et de hérons cendrés, tandis que les aigrettes occupent les quelques rares buissons. Les cormorans colonisent les falaises.
Nous sommes dans le village d’Iwick. Les pêcheurs apprêtent le bateau, la lanche, dans laquelle nous devons nous hisser après avoir pris un bon bain de pieds ! Les lanches ont été introduites au siècle dernier par les Canariens venus y pêcher la courbine. Elles sont bien adaptées à ces régions de hauts fonds. Nous filons à vive allure vers ces îles qui émergent de l’océan. Le temps est frais et le vent se lève. Les oiseaux nous boudent et ne sont pas au rendez-vous.
C’est une belle journée, emplie d’odeurs de mer, de vent et d’imprévu. Les pêcheurs, comme les chameliers, chantent et bercent. Je découvre l’osmose mer-désert. Je savoure chaque instant : regarder l’envol d’un oiseau, surprendre un chacal en chasse, attendre la sortie des crabes … Jouissance des sens qui pousse à l’acceptation de ce trop-plein de bien-être pour l’intégrer et en faire le levain d’une énergie nouvelle.

A Teychat, un chant doux et discret me contemple. J’en écoute chaque note, chaque son. La mélopée est gaie et empreinte d’un leitmotiv sensuel. Le désert et l’océan font appel à cette sensualité, à ce toucher corporel, uni étroitement à cette liberté d’âme . La vérité est peut-être nichée, là, au cœur du désert, au creux des vagues, au cœur de ces hommes qui élèvent leur voix vers le Divin. Ici, le doute n’est pas permis. Ici, nous touchons à l’Essentiel.

Le lendemain nous fait découvrir la fabrication d’une lanche à Memghar, avec un jeune charpentier, amoureux de son travail et oeuvrant sans plan ! Et malgré un fort vent de sable, nous partons à la recherche des oiseaux le long de la plage.
Tout se marie à l’infini. Tout est si intemporel.
Devant moi, les bancs de sable se meuvent dans l’eau, et les vagues sont douces, ne menant nulle part. Le soleil essaie de percer ce vent de sable et parfois, il brille avec force. L’eau chatoie alors avant de retrouver sa couleur originelle. La nature est existence et envahit l’Etre.
… Le manque de la solitude du désert …
Dans le calme qui contient les bruits du désert, surgit en moi une force intérieure me montrant la fugitive éternité du devenir.
Ma vie s’invente d’elle-même, hors du temps.

Aïssa, cherchant sa Légende, m’ouvre également les portes des interrogations inhérentes à la vie. Ses questions interpellent.
Dans ce désert, il avance en quête du fil d’argent, celui de la vie. Les mots remplacent les regards, mais ils sont porteurs de richesse réciproque, de complicité, d’entente philosophique et spirituelle.
Avec Aïssa, je chemine sur la route du langage, des fuites dans les non-dits, des empreintes de vie en suspension, des errements de l’âme et des soirs sans sommeil.
A l’orée de la nuit, nous écoutons l’autre dans l’imperceptible mouvement du corps qui ne s’endort pas.
A l’écoute du vent, nous éprouvons le besoin de chuchoter pour nous sentir plus proches dans nos attentes.
Assis au bord de l’eau ou au milieu du sable, nous devisons, certains de trouver en ces lieux sereins les réponses à nos questions.
Il se réconcilie avec lui ; je me réconcilie avec moi.
Nous portons le même regard sur les choses de la vie, sur le quotidien qui nous empêche de palper la vraie liberté, celle de la rupture.
Qui osera un jour tourner le dos à ce quotidien pour s’envoler sur les dunes de la liberté intérieure ?
Qui osera un jour être prisonnier de ses désirs pour être libre de sa vie ?
Nous savons les mots ; nous savons les transcrire … mais savons-nous les vivre ?

De ta terre d’Algérie aux confins du désert, aux abords des océans, tu marches et navigues, laissant derrière toi les effluves de tes rêves.
Des dunes de Mauritanie aux dunes de Jordanie, tes désirs ont pour nom accomplissement, compréhension et amour.
Puisses-tu garder en ton cœur les leçons du désert, les signes du désert qui jalonnent chaque démarche, l’éclat du soleil sur ton devenir, le scintillement des étoiles sur tes attentes.
Puisses-tu ne jamais te lasser de tes rêves.
Puis-je ne jamais me lasser de mes rêves.

En direction de Nouakchott, nous marchons sur la plage.
La mer est paisible et le sable doux. L’eau s’éveille sous les premiers rayons de soleil. Elle s’habille de couleurs mordorées et se meurt doucement dans les abîmes de l’océan. Nos pas laissent les empreintes du temps qui passe, de nos heures sereines autour du feu, de nos soirées à palper les cieux étoilés, et de nos rires aussi, libérateurs et enfantins.
Mais bientôt, profitant de la marée basse, la plage devient route pour camions et véhicules en tout genre. Les 4x4 nous récupèrent et nous filons sur ce sable qui se dilue dans la mer qui disparaît à l’horizon.
Nouakchott, capitale et port de pêche important nous reçoit avec ses rues animées et colorées. Les marchands nous accostent. Difficile de replonger dans le monde où plus rien n’est silence.
L’arrivée de dizaines de bateaux de pêche et leurs cargaisons de poissons offrent un spectacle insolite et attrayant. Bousculades, odeurs de beignets frits, ânes qui se fraient difficilement un passage au milieu de la foule, cirés jaunes des pêcheurs qui courent, portant cagettes lourdement chargées de poissons frais et dégoulinant d’eau, femmes en boubous colorés buvant le thé à la menthe à même le sol, enfants courant de-çi, de-là, et cacophonie de mots et de cris.

Ma dernière balade avec Aïssa dans les rues bruyantes et chaudes de Nouakchott nous fait prendre conscience de notre décalage, de notre mal-aise au milieu de cette foule. Nous rentrons à l’auberge.
Ma dernière nuit sera comme nombre de nuits, sans sommeil … à cause d’un moustique qui me taquine sans relâche, et parce que nous savons que le mot « fin » est écrit.
Nous respirons le même air et étouffons dans notre hutte.
Nous nous glissons dans les ultimes mots que nous murmurons.
Dans le sombre de la nuit, les yeux grands ouverts, nous devinons l’autre.
J’ai envie de poser ma tête au cœur de sa légende.
J’ai envie de taire ma pensée au creux de ses non-dits.
Il écoute ma fuite ; il écoute le vent ; et m’offre le réconfort avec des mots qui sentent la liberté.
Lui aussi a lu dans le livre du désert …
Lui aussi a déchiffré les symboles du désert …
Lui aussi a cherché sa route … L’a-t-il trouvée ? L’ai-je trouvée ?

Me voici revenue à mon point de départ … mais suis-je identique ?
N'ai-je pas aboli la pensée pour adhérer à mes désirs ?
N'ai-je pas changé mon regard ?
N'ai-je pas cueilli la source du renouveau ?
Ne suis-je pas devenue désert ?

Atar …

L'avion est là, tel un grand oiseau qui va m'emporter chez moi.
Ses ailes déployées sont déjà en partance pour l'autre monde.

… Je reviens d'un ailleurs qui me colle à la peau, qui parle à mon coeur, qui ne comprend pas ce que je fais là, en attente de quoi ?
Je reviens de nulle part, d'un désert d'émotions et de désirs, qui ne sait pas ce que je fais là, en attente de quoi ?
Je reviens d'une terre de feu et de passion, qui ne perçoit pas ce que j'attends là.

Je viens du crépuscule et de la lumière. Je viens du sable et des pierres. Je viens du vent et du silence. Je viens des vagues et des ressacs.
J'ai offert mon corps au vent de sable. J'ai bu à la tendresse de la nuit étoilée. J'ai banni le temps. Je me suis habillée d'or et de liberté et suis devenue désert.
Solitude heureuse où mon corps se donnait au soleil et au sable.

Mais le temps est impatient …
Il me faut abandonner cette terre et ses racines.
Il me faut abandonner cet ailleurs dans lequel je me suis trouvée.
Je me suis dépouillée de tout pour ne pas me faner.
Les étoiles à portée de tous les espoirs, je me suis nourrie de regards et de vent.

Mais le temps presse …
Je suis sur les ailes de l'oiseau.
Il m'emmène là où je ne veux pas aller.
Et pourtant, je rentre chez moi …

Où est-il ce « chez-moi » ? Est-ce le pays de nulle part, ou celui des contraintes, des limites et des rêves étouffés ?
Suis-je « chez-moi », au pays du sable et des étoiles et du néant, ou est-ce celui du bruit, de l'incompréhension et des leurres ?
J'ai vu les regards de ceux qui ne se posent qu'avec passion, avec une once de douceur inquiète, quelque chose qui viendrait de la solitude sauvage et qui trouble.
Je me suis brûlée aux yeux de braise qui voient dans la nuit.
J'ai bu à la solitude des nomades qui marchent vers leur secret.
J'ai effacé l'ombre de ma vie aux confins du désert.
J'ai goûté à l'intimité silencieuse des nuits aux étoiles filantes et aux aurores fraîches.
J'ai senti le vent balayer les pensées de mon fragile destin.

J'ai accepté la solitude pour ne pas abîmer l'âme.
Avec une intensité rare, j'ai mordu à la découverte désirée et désirante du désert.
J'étais « chez-moi »; je suis « chez-moi ».

L'oiseau se pose …
La vie peut être prison. Elle a la couleur de l'absence, semblable à une longue journée sans soleil.
La vie peut être liberté. Elle a la couleur du désert, semblable à la lumière des dunes.

On n'oublie pas le désert.

Je n'oublie rien.
Je suis rentrée.

… Je suis là-bas …



« Nul ne peut, après avoir mené cette existence, demeurer tel qu'il était avant.
Il sera désormais marqué par le désert et
portera en lui l'empreinte de la vie nomade ».