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Quai Docteur Girard - 38520 Le Bourg d'Oisans, Alpes du Dauphiné - Isère, France

lundi 25 mai 2009

Je me perds au fil des jours. Près des chameliers, j'avance sous une chape de plomb.
Mes yeux accrochés aux leurs, je regarde le désert se dérouler devant moi, le monde, ma vie.
Mes pieds sont enflés, endoloris. Aucun pansement n'adhère sur les talons meurtris. Je mets un pied devant l'autre et ne pense plus. Seulement avancer. Les lèvres sont sèches, collées, muettes depuis quatre heures. De l'eau …
Qui suis-je pour marcher vers rien ? Qui suis-je pour rêver de silence, pour croire à l'absolu, pour espérer la démesure ? Qui suis-je ?
Pas-silence. Pensée-silence. Vide de l'esprit.
Tant de chemin à parcourir, de pierres et de dunes à lire, d'espace à déchiffrer pour seulement effleurer un semblant de réponse.
Dans cet espace, ma vie surgit, comme une muette interrogation, comme une ultime question.
Soleil aveuglant … la pensée se fait rare. Lèvres taries d'eau …
Les émotions se nouent et se dénouent, se confondent et disparaissent.

Le soleil est au zénith; c'est le moment du repas et du thé. Les premières gorgées sont autant de gouttes de pluie pour balayer la poussière de la bouche et se désaltérer. Le thé chaud est le meilleur des breuvages pour humecter les lèvres sèches et chasser la fatigue.

Lelle me regarde et sourit. Moment furtif de complicité. J'en oublie les pieds douloureux, la chaleur suffocante. Je m'allonge dans le sable, près de lui, tandis que Nasser se repose. Nos doigts dessinent les mots. Il rit; il est mon ami des sables. C'est une oasis à laquelle je m'abreuve, pleine de sérénité, d'humanité, de générosité. C'est un oued plein de fraîcheur, de gourmandises, de lumière et de vérité.

Confins des dunes … ma complexité, mon exigence.
Mon histoire est là, se déroulant au gré du soleil qui brûle, près de mes amis.
Au milieu du sable, ils sont symboles de l'accomplissement du désert : beauté et bonté. Ils suffisent à ma quête.

La sieste est finie : mettre de la distance entre l'horizon et l'infini.
Marcher encore et encore … je marche sur le clair-obscur de ma vie.
Le soleil se déploie et s'enfonce. Dans cette immensité sauvage, les fissures de la vie se colmatent car le désert dessine l'amour.
Quand les feux du soleil se meurent et que Lella cherche du bois, je sais que le campement est proche. C'est un moment privilégié de paisible quiétude dans la fraîcheur du soir. Le corps frissonne au moment de la toilette succincte pour faire place rapidement au bien-être.
Je m'assieds auprès des braises qui me réchauffent. Le thé est le bienvenu. Je contemple le feu, je m'imprègne du silence, et je regarde la préparation de la galette. Je me laisse envahir par la douceur du bivouac, attendant l'émergence de la lune et des étoiles.
Je noue mes bras autour des genoux et mes yeux divaguent sur la danse des flammes. Les bûches craquent, les étincelles crépitent et parfois le regard de Lella accroche le mien au cœur du feu. Nous savourons ces minutes silencieuses où la fatigue se fait lourde pour disparaître dans le cocon de la nuit.

Chaque matin est une bénédiction, mais ce matin, mon pied souffre atrocement. La chaleur est déjà là, bien présente.
Cette nuit fut douce, à l'écoute du ciel et du monde.
Les nomades savent les nuits sans sommeil, l'engourdissement du corps quand les yeux n'en peuvent plus de contempler les étoiles.
Je puise dans ces moments uniques d'harmonie, vécus avec intensité, le courage de repartir malgré la douleur.
Presque quatre heures de marche au milieu de rien; juste un peu d'ombre squelettique sous un acacia pour la halte et se désaltérer.
Je ne pense plus; je marche à côté d'eux, ivre de pas, de sable et de soleil.
Que suis-je venue chercher ? Mon histoire ? Ils me la content à chaque regard, chaque bivouac quand nos doigts dessinent sur le sable les mots de la vie. Que suis-je venue découvrir ? Moi ? Ils me le disent à chaque crépuscule, me montrant le ciel et sa lecture. Que suis-je venue reconquérir ? La paix ? Ils sont symboles de paix. Ils marchent, sourient, respirent, évoluent avec paix.

Désert-paix.
Pieds énormes et plaies à vif.
Ce soir, nous sommes dans un campement où plusieurs familles se partagent des tentes marron ou blanche, disséminées dans le sable. Je peux me procurer une paire de tongs. J'abandonne mes chaussures de marche, sachant dorénavant que rien ne vaut des sandales.
Nous achetons également un chevreau qui améliore notre quotidien, constitué jusqu'à présent de pâtes et de galette. Après le rituel du thé, des dattes et des cacahuètes, nous dînons tard avec les membres de la famille, sous la voûte céleste, autour d'un feu qui éclaire les visages.
Existence-silence.

Ma nuit est solitaire, éloignée de la tente des nomades. Le mystère de la nuit plane au-dessus de moi. Je suis assise dans mon duvet, interrogeant la lune et les myriades d'étoiles. A l'encre du sable, j'écris les pages de mon vécu. Mais les mots ne peuvent traduire toutes les émotions. Alors je range le stylo pour mieux contempler l'absolu. Longtemps, j'écoute les messages du désert. Longtemps, je garde les yeux ouverts sur le ciel inondant de ses astres scintillants le village des nomades.
La toile brune de la tente se confond avec le sable. Parfois, le bêlement d'un chevreau troue la nuit. Parfois, des murmures de voix parviennent jusqu'à moi. Puis un silence total envahit le campement, instant où tout bascule dans le sommeil. J'épie le moindre bruit qui n'existe pas. J'entends le désert.

Aux premières clartés de l'aube, Lella, après la prière, vient me convier pour le petit déjeuner.
C'est vendredi, jour du prophète Mahomed, jour de repos. Les visites affluent de chaque coin du désert et nous buvons du thé, accompagné d'arachides, allongés sur les couvertures, un coussin glissé sous le bras. Au crépuscule, les membres engourdis d'être restée étendue (!), je m'isole en m'éloignant du campement, pour marcher un peu et surtout admirer le coucher du soleil tandis que les troupeaux rentrent et que les chameaux se découpent au loin, sur les crêtes des dunes.
Tout est serein, je perds la notion de tout ce qui n'est pas la vie d'ici.
Le désert me grignote peu à peu.