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Quai Docteur Girard - 38520 Le Bourg d'Oisans, Alpes du Dauphiné - Isère, France

samedi 23 mai 2009

COMME UN APPEL


Voici mes dernières heures à préparer le sac, à serrer un cordon, et je suis déjà en partance pour l'ailleurs.
Tout ce temps à espérer un autre départ, à compter les mois qui me rapprochent du rêve, à écrire les mots des dunes, à entendre les légendes du désert.
Toutes ces semaines d'impatience contenue, où les pieds trépignent de marcher, où le corps se love dans le silence du néant.

Je quitte pour un instant ma vie d'ici, et dans mes bagages-souvenirs, il n'y a rien. Je connais le poids du désert et l'oubli.
Il ne m'est pas difficile de partir; il me sera difficile de revenir.
Je vais être absence. Le temps me dira …
Je suis encore là, aux portes de l'au-revoir, mais les yeux flirtent déjà avec le désert et ses bruits épars.
Je suis encore là, pour quelques heures, mais l'autre monde m'a déjà happée.
Je n'existe plus que pour l'instant où je foulerai le sol mauritanien.
Dans le calme de mes pensées, l'infini omniprésent. Dans cet avion qui m'éloigne de ma vie, je renais à autre histoire, celle que j'ai laissée en suspens à Chinguetti, il y a quelques mois.
Le désert s'étire sous les ailes de l'avion. Ces vastes étendues qui se profilent sous moi sont le prélude à d'imminentes retrouvailles.

Atar … aéroport … chaleur …
Je suis seule pour capter l'émotion, pour appréhender mon retour.
J'emprunte un taxi brousse pour rejoindre Chinguetti.
Les narines reniflent l'odeur du sable. La piste est là, devant moi, caillouteuse et poussiéreuse. Chinguetti est proche …
Je redeviens nomade, libre de tout et de tous.
La sérénité fait place à la hâte du partir. Je suis enfin arrivée, mais il me faut encore patienter un peu avant de goûter définitivement au plaisir d'être revenue.
Chaque tour de roue est un morceau de route qui s'éteint.
Chaque tour de roue est un ruban qui se dénoue pour me lier au sable.
Les cheveux au vent, je ne suis plus pressée.
Autour du cou, le chèche, symbole du désert.

Installée à l'auberge, j'attends patiemment et calmement, un verre de thé à la main, le moment de me noyer dans les dunes.
A à la tombée du jour, Nemed franchit la porte de l'auberge, tout joyeux de me revoir.
En sa compagnie, mes pas m'emmènent chez Lella. Je sais qu'il m'attend. Il sait que je suis là.

Je marche vite dans le sable, comme un impérieux besoin. Dans la lueur des braises, il est. Dans la lumière du feu, nous nous réapprivoisons.
Son regard est toujours au-delà du temps, sombre et mystérieux. Je ressens un grand chaud en moi qui murmure le plaisir profond de retrouver tous mes amis.
Nos yeux parlent le même langage, celui qui nous lie à un bout de sable, celui de notre rencontre.
Je suis assise autour du feu et la magie opère.
Même ciel étoilé, mêmes odeurs. Tout est intact. Lella nous offre le thé et le repas. Je suis chez moi.
Douceur des retrouvailles.
Je suis heureuse, d'être là, tout simplement, assise dans le sable, autour du feu qui chante mon retour.
Je m'imprègne d'eux, suspendue à leurs lèvres d'où coulent leurs mots, sereins et doux. Nous savions que le temps n'existait pas.
Nous partageons, dans le silence de nos regards, toutes nos pensées, toutes nos espérances.
Nous nous éloignons du campement, pour nous redécouvrir. Nos pas nous portent vers les dunes toutes proches, vers notre passé. Nous cheminons côte à côte, attendant que l'autre vienne briser le silence.
Et puis, tout à coup, le besoin de dire, ensemble, comme une fulgurance.
Les mots se bousculent malgré nos différences de langue. Les mains renouent avec les gestes, les yeux s'accrochent pour se comprendre, les souvenirs ressurgissent, les rires fusent.
Tout est aboli.

Nous parcourons ensemble l'absence;
Nous regardons le ciel que nous avons si souvent admiré, et d'un geste large, Lella me montre le désert, son désert.
Nemed opine de la tête, silencieusement. Ils m'enveloppent des yeux au milieu des dunes, sous la lune qui sourit.
Leur regard de braise plonge en moi. Ils veulent me dire … Je sais qu'ils n'ont rien oublié. Ils savent que je n'ai rien oublié.

Assis dans le sable, nous parcourons nos vies, avides de savoir, curieux de l'autre, avec nos mots, mi-français, mi-hassaniya. Nos yeux parlent fort; ils sont notre miroir.
Nos retrouvailles ont le goût de la nuit, mystérieuse, humaine, profonde et complice.

Devant la porte de l'auberge, ils disparaissent silencieusement. Je n'entends que le bruissement de leur djellaba s'évanouissant dans la nuit.

Tout est bien. Les étoiles sont les messagères de mes pensées.
Elles voguent tout là-bas, où je sais trouver la démesure. Elles coulent comme le miel, libres d'exister, sans limites et sans interdits.
Par la porte ouverte sur la nuit, je m'évade sur le chemin des astres.
Je sais mes amis proches. Tout ce temps séparés aurait pu nous transformés. Il n'en est rien. Au contraire, tout est encore plus dense et plus plein.
Longtemps, je garde les yeux ouverts sur cette plénitude qui me berce pour ma première nuit
.
Au rythme lent du désert, Chinguetti s'éveille.
Au bord de l'aurore, douce somnolence.
Demain, je m'enfoncerai avec Lella dans l'or des dunes.
Avant que le bruit ne prenne possession de la ville, je redécouvre les ruelles ensablées qui me portent vers les échoppes et les thés brûlants.
Errer sans but, sans précipitation pour apprendre à vivre.
Devant moi, le sable, comme un accomplissement.

Des visages connus, rencontrés il y a quelques mois, me sourient et m'invitent à partager le thé. Celui des bijoutiers installés à même le sol; celui des marchandes qui me reçoivent dans leur boutique, sans poser de questions.
Et Mouhamed, jeune étudiant, beau et enjoué, tout heureux de parler français, auprès de qui les heures s'écoulent, tranquilles et riches d'échanges. Il m'invite à la soirée « tam-tam ».

Les rues de Chinguetti résonnent de cette musique, comme un appel à la joie et au rire. La foule se presse autour des tambours. Les corps accompagnent la musique dans l'obscur de la nuit. Les silhouettes drapées de voiles aériens des femmes et les djellabas bleues des hommes, chèche noir sur leur regard de braise, rythment de leurs mains et voix cette mélopée traditionnelle.
Soirée pleine de sons et de sensualité.
La foule grossit, danse, chante. La cadence des tambours s'accélère. Les hanches se déchaînent. Je suis au centre de la musique, lancinante, irréelle, qui m'emplit toute.
Quand les sons s'éteignent, il reste la marche dans le sable pour rejoindre l'auberge et la complicité d'un moment de musique, de danse et de rire. Avant de m'endormir, le tam-tam continue à me hanter, comme un leitmotiv pour me chanter le désert.