Ma photo
Quai Docteur Girard - 38520 Le Bourg d'Oisans, Alpes du Dauphiné - Isère, France

dimanche 31 mai 2009

Yeux lourds de sommeil. Magie des petits matins. La nuit est décapitée. La nuit fut froide et ventée. Je veux rester blottie en moi.
Le thé est servi.
Lella sourit; je veux me lever.
Aujourd'hui comme hier, et pourtant si différend. Le désert me modèle. Il me fait humble, silence. Il me fait sale au dehors mais propre à l'intérieur. Il me tanne la peau et pétrit le cœur. Il me couvre de poussière mais dénude l'âme. Il me fait prisonnière mais me rend la liberté. Il obscurcit les yeux mais éclaire l'intime.
Lella sourit; il m'attend.
J'existe dans son regard; ça fait du bien. Je vais vers lui pour le simple bonjour du matin. Je fais confiance au jour qui se lève, au désert, à mes amis.

Notre caravane se met en marche. Combien de pas depuis mon départ ? Combien de temps entre l'au-revoir et ce jour ?
Une autre journée à tenter de rejoindre un point, une halte pour nous reposer. Une autre journée égrenée au fil de l'attente, de rien, sans pensée, sans but.
Savoir et tout quitter. Je pars à la conquête de tant de chimères.
Je puise dans le désert la certitude de ma démarche. Il m'entraîne si loin.
Nous cherchons un puits. Dans le premier, l'eau stagne tout au fond et nous n'avons pas de corde suffisamment longue pour y accéder. Ils décident de continuer : un autre puits existe, pas très loin. Nous marchons deux heures avant de l'atteindre. Les nomades viennent remplir leurs outres portées par les ânes. Tandis que les uns tirent de l'eau, les autres font un peu de lessive et les enfants jouent avec des boules formées de sable et d'eau. Je partage leurs jeux et ils rient de me voir malhabile avec leur jouet improvisé. Ils me font de grands signes d'adieu longtemps après notre départ.

Autour des puits, c'est un village qui se reconstitue le temps d'échanger les nouvelles, de revoir les amis, et de s'entraider. Puiser l'eau est une tâche fatigante et tout le monde participe.
Les chameaux boivent longuement tandis que les hommes se relaient pour hisser l'eau et la déverser dans les jerricanes ou les outres. Les femmes et les enfants amarrent celles-ci sur le dos des ânes avant de repartir vers leur tente, en chantant et en riant.
Assise sur une pierre, je contemple cette vie simple, tranquille, à laquelle je suis venue m'abreuver.

Le feu du soir m'enveloppe. Les yeux de mes amis m'emprisonnent. J'ai la certitude d'être désert.
Je m'allonge, face aux étoiles. La voix de Lella s'élève, douce et sensuelle pour chanter le désert.
Il sait ma tête vide, la démesure du désert. Il me voit avec le regard du désert. Mes vêtements sont sans forme. Le néant est en moi; absence de moi. Je n'ai que la force de m'accorder avec moi-même. Le désert offre et donne au-delà des gestes, au-delà des mots. Le désert fait corps avec l'intime.
Corps fatigué de trop de pas; cœur fatigué de trop aimer. Je m'endors enfin, le désert veillant sur ma nuit.
Mon cœur bat la liberté. Combien de kilomètres aujourd'hui ? Vingt-cinq ? Trente ? Jusqu'au bout du jour, nous avançons. Nous cheminons côte à côte, solitaires dans notre silence. Nous nous devinons. Ils prennent soin de moi pour que jamais je n'oublie le désert. Je prends soin d'eux. Mes perceptions s'aiguisent, le désert à fleur de peau.

Nudité totale; je vis par le désert.
Mon corps a la couleur du désert; elle me va bien.
Mon corps a le rythme du désert. Pas à pas, j'avance au travers de lui seul. Doucement, je me dépouille. Mon regard fixe l'horizon où s'inscrit mon devenir. Mais il ne sait plus lire. Il n'est que sable. Il coule entre mes doigts. Il est ma réponse.
Je n'ai plus rien. J'ai tout quitté pour mordre au désert. J'ai tout laissé dans le désert. Le désert possède l'être. Je voudrais m'asseoir pour agencer mes pensées. Mais le désert veut que j'aille jusqu'au bout de moi-même.
Les yeux me font mal. Les ongles sont sales de cendre et de poussières. Les membres sont engourdis, les pieds meurtris, la peau desséchée.
Mais les pas sont liberté.
Aux lèvres perle de l'impalpable, je me nourris.
Dans la lumière, je vais. Dans l'éventail d'or, je vais.
Silhouette silencieuse gravissant dunes et plateaux; ombre marchant au milieu des pierres et des dunes.
Point minuscule dans le sable; fusion dans la tête … je fuis entre mes mains.
Onde de dunes sans espace, voyage éternité.
Magie des lieux qui pousse à l'oubli.
Âme vagabonde, arrête-toi. Parcelle de feu soleil, tu me consumes.
Le désert me possède, le silence du désert me brise.
Chèche accroché au vent, je suis femme de l'immensité.
Yeux sous le chèche, regard perdu.
Je vais, le chèche me protégeant de mon histoire.
Horizon sans fin, solitude totale.Je suis prisonnière de l'infini

mardi 26 mai 2009

Au matin naissant, nous quittons le campement et j'apprends à marcher dans la caillasse avec des tongs. Une longue journée à errer sur un plateau sans fin. Nos regards accrochent les pierres, bien au-delà de l'horizon. La même enjambée, souple, silencieuse, pour progresser dans le rien. De temps à autre, un mouvement de tête pour englober l'immensité, et de nouveau, les corps reprennent naturellement possession des éléments. Le plateau est vide de vie.
Des pierres brunes et noires à perte de vue sur lesquelles les pieds trébuchent parfois, quand les yeux se détachent pour un bref instant de leur trajectoire. Des débris sombres qui noient le regard dans la réverbération crue du soleil. Je vais, pensée éteinte.

Et soudain, un océan de dunes, ocre et or sous mes pieds. Un océan de lumière dans le soleil couchant. Je m'arrête, muette d'admiration. Je suis fascinée. Lella et Nasser me regardent. Ils m'offrent leur désert. Ils chantent; c'est féérique.
Nous nous engloutissons dans ces dunes, follement heureux.
Multiples dunes pour bercer notre amitié.
Nous escaladons ces poussières d'or … Je suis pieds nus; je sens le sable chaud, je sens la liberté, je sens la vie.
Je veux m'unir encore davantage au désert.
Ils sont désert.
Beauté irréelle. Pépites de lumière.
Nos yeux rient, nos yeux parlent, nos yeux vivent.

Ici, j'aime la lumière-soleil, et l'horizon et le sable.
Je veux être nomade pour ne courir que sur la liberté.
Aimer pour être libre. Le désert est mon attache. J'aime sa tendresse dépouillée.
Plus de repères, plus de limites, mes amis et moi suspendus aux courbes de l'infini.
Leur force paisible, leurs yeux rieurs, et leur beauté qui se marie à l'or des dunes.
Nous nous noyons dans le sable. Ils m'offrent le monde.
Comme des enfants, nous nous amusons à grimper et dévaler ces dunes dans lesquelles nous nous enfonçons jusqu'aux genoux.
Dans les filaments du soir, nous capturons la sensualité sauvage du désert et l'emprisonnons en nous.
Essoufflés de courir et de rire, nous nous taisons pour mieux boire le dépouillement et nous entendre.
Nous gravissons une autre dune, une autre crête …
Nous les parcourons l'une après l'autre, plongeant nos corps dans cet infini trésor, et dans l'infinie sérénité du désert.
Nous suivons la courbe du soleil mourant à l'horizon.
Nous avançons vers le crépuscule.
Nos pas attendent la nuit.
Soirée silence où nos cœurs se rejoignent au-delà des mots. Nous nous nourrissons de ces moments vécus avec force et les langues de feu sont autant de dunes qui se reflètent dans les yeux.
La nuit est douce.
Des mains qui prient et des doigts qui emprisonnent les étoiles.
Des regards qui caressent l'obscurité en quête d'émotions.
Prolonger la nuit dans le firmament des attentes; rêver d'impossible et fermer les yeux sur la nuit qui se meurt.

Le désert fait fuir la peur. Fragile, le désert me possède.
Bouche-mienne; empreinte dans le sable. Je suis amoureuse du désert.
Fragile, le désert me fait sienne.
Je m'endors près de moi; je m'endors au creux du désert.

Le vent balaie chaque pas. Je me retourne : il n'y a plus rien. Je n'existe plus dans le passé. Je n'existe que dans l'instant.
Nasser, Lella … mots muets. Ils lisent en moi. Je vis grâce à eux.
Ils savent le désert, le pouvoir du désert. Ils sont désert.
Amis-confiance. Je les suis aveuglément.

lundi 25 mai 2009

Je me perds au fil des jours. Près des chameliers, j'avance sous une chape de plomb.
Mes yeux accrochés aux leurs, je regarde le désert se dérouler devant moi, le monde, ma vie.
Mes pieds sont enflés, endoloris. Aucun pansement n'adhère sur les talons meurtris. Je mets un pied devant l'autre et ne pense plus. Seulement avancer. Les lèvres sont sèches, collées, muettes depuis quatre heures. De l'eau …
Qui suis-je pour marcher vers rien ? Qui suis-je pour rêver de silence, pour croire à l'absolu, pour espérer la démesure ? Qui suis-je ?
Pas-silence. Pensée-silence. Vide de l'esprit.
Tant de chemin à parcourir, de pierres et de dunes à lire, d'espace à déchiffrer pour seulement effleurer un semblant de réponse.
Dans cet espace, ma vie surgit, comme une muette interrogation, comme une ultime question.
Soleil aveuglant … la pensée se fait rare. Lèvres taries d'eau …
Les émotions se nouent et se dénouent, se confondent et disparaissent.

Le soleil est au zénith; c'est le moment du repas et du thé. Les premières gorgées sont autant de gouttes de pluie pour balayer la poussière de la bouche et se désaltérer. Le thé chaud est le meilleur des breuvages pour humecter les lèvres sèches et chasser la fatigue.

Lelle me regarde et sourit. Moment furtif de complicité. J'en oublie les pieds douloureux, la chaleur suffocante. Je m'allonge dans le sable, près de lui, tandis que Nasser se repose. Nos doigts dessinent les mots. Il rit; il est mon ami des sables. C'est une oasis à laquelle je m'abreuve, pleine de sérénité, d'humanité, de générosité. C'est un oued plein de fraîcheur, de gourmandises, de lumière et de vérité.

Confins des dunes … ma complexité, mon exigence.
Mon histoire est là, se déroulant au gré du soleil qui brûle, près de mes amis.
Au milieu du sable, ils sont symboles de l'accomplissement du désert : beauté et bonté. Ils suffisent à ma quête.

La sieste est finie : mettre de la distance entre l'horizon et l'infini.
Marcher encore et encore … je marche sur le clair-obscur de ma vie.
Le soleil se déploie et s'enfonce. Dans cette immensité sauvage, les fissures de la vie se colmatent car le désert dessine l'amour.
Quand les feux du soleil se meurent et que Lella cherche du bois, je sais que le campement est proche. C'est un moment privilégié de paisible quiétude dans la fraîcheur du soir. Le corps frissonne au moment de la toilette succincte pour faire place rapidement au bien-être.
Je m'assieds auprès des braises qui me réchauffent. Le thé est le bienvenu. Je contemple le feu, je m'imprègne du silence, et je regarde la préparation de la galette. Je me laisse envahir par la douceur du bivouac, attendant l'émergence de la lune et des étoiles.
Je noue mes bras autour des genoux et mes yeux divaguent sur la danse des flammes. Les bûches craquent, les étincelles crépitent et parfois le regard de Lella accroche le mien au cœur du feu. Nous savourons ces minutes silencieuses où la fatigue se fait lourde pour disparaître dans le cocon de la nuit.

Chaque matin est une bénédiction, mais ce matin, mon pied souffre atrocement. La chaleur est déjà là, bien présente.
Cette nuit fut douce, à l'écoute du ciel et du monde.
Les nomades savent les nuits sans sommeil, l'engourdissement du corps quand les yeux n'en peuvent plus de contempler les étoiles.
Je puise dans ces moments uniques d'harmonie, vécus avec intensité, le courage de repartir malgré la douleur.
Presque quatre heures de marche au milieu de rien; juste un peu d'ombre squelettique sous un acacia pour la halte et se désaltérer.
Je ne pense plus; je marche à côté d'eux, ivre de pas, de sable et de soleil.
Que suis-je venue chercher ? Mon histoire ? Ils me la content à chaque regard, chaque bivouac quand nos doigts dessinent sur le sable les mots de la vie. Que suis-je venue découvrir ? Moi ? Ils me le disent à chaque crépuscule, me montrant le ciel et sa lecture. Que suis-je venue reconquérir ? La paix ? Ils sont symboles de paix. Ils marchent, sourient, respirent, évoluent avec paix.

Désert-paix.
Pieds énormes et plaies à vif.
Ce soir, nous sommes dans un campement où plusieurs familles se partagent des tentes marron ou blanche, disséminées dans le sable. Je peux me procurer une paire de tongs. J'abandonne mes chaussures de marche, sachant dorénavant que rien ne vaut des sandales.
Nous achetons également un chevreau qui améliore notre quotidien, constitué jusqu'à présent de pâtes et de galette. Après le rituel du thé, des dattes et des cacahuètes, nous dînons tard avec les membres de la famille, sous la voûte céleste, autour d'un feu qui éclaire les visages.
Existence-silence.

Ma nuit est solitaire, éloignée de la tente des nomades. Le mystère de la nuit plane au-dessus de moi. Je suis assise dans mon duvet, interrogeant la lune et les myriades d'étoiles. A l'encre du sable, j'écris les pages de mon vécu. Mais les mots ne peuvent traduire toutes les émotions. Alors je range le stylo pour mieux contempler l'absolu. Longtemps, j'écoute les messages du désert. Longtemps, je garde les yeux ouverts sur le ciel inondant de ses astres scintillants le village des nomades.
La toile brune de la tente se confond avec le sable. Parfois, le bêlement d'un chevreau troue la nuit. Parfois, des murmures de voix parviennent jusqu'à moi. Puis un silence total envahit le campement, instant où tout bascule dans le sommeil. J'épie le moindre bruit qui n'existe pas. J'entends le désert.

Aux premières clartés de l'aube, Lella, après la prière, vient me convier pour le petit déjeuner.
C'est vendredi, jour du prophète Mahomed, jour de repos. Les visites affluent de chaque coin du désert et nous buvons du thé, accompagné d'arachides, allongés sur les couvertures, un coussin glissé sous le bras. Au crépuscule, les membres engourdis d'être restée étendue (!), je m'isole en m'éloignant du campement, pour marcher un peu et surtout admirer le coucher du soleil tandis que les troupeaux rentrent et que les chameaux se découpent au loin, sur les crêtes des dunes.
Tout est serein, je perds la notion de tout ce qui n'est pas la vie d'ici.
Le désert me grignote peu à peu.

dimanche 24 mai 2009

Je suis debout, à l'aube, le sac prêt, impatiente de quitter Chinguetti.
Enfin, Lella est là, dans l'embrasure de la porte, djellaba blanche et chèche noir. Il est superbe. Je suis fière d'être son amie. Nos yeux sont en attente du partir. Nous savons notre route. Nous la poursuivons dans le respect mutuel de notre amitié.

Nasser, l'aubergiste, nous accompagne. Ayant fait des études de géographie à Nouakchott, il s'exprime parfaitement en français. Son accoutrement me fait sourire : une veste de laine sur sa djellaba et des chaussettes trouées pour mieux enfiler les tongs !
Nous avons sympathisé la veille, lors de mon arrivée, et sa demande de nous accompagner consiste à être l'interprète.
Les chameaux sont prêts, chargés de soixante litres d'eau, de nourriture et de couvertures.

Au milieu des dunes, nous avançons. Le soleil est boule de feu au-dessus de la tête.
Je marche, respirant à chaque pas la vraie liberté, celle qui me rattache à moi-même, celle que je dédie au monde. Le paysage est splendide. Sur le chemin de l'inconnu, les formes ouvragées par le vent prennent vie en une cascade de dunes et de contrastes.
Malgré les rayons ardents du soleil et la soif qui dessèche les lèvres, je suis pleinement. La palette des ocres m'invite au rêve. Nous marchons rapidement, nous enfonçant dans ce sable que je suis venue reconquérir comme une nécessité. Ces mois ont été une pensée constante vers ce minéral, comme un appel inéluctable.
Sous le soleil aveuglant, je redécouvre la beauté désertique, le plaisir d'avancer vers le rien, et la fusion silencieuse avec mes amis.
Une première journée, telle que je l'avais rêvée, belle, simple et harmonieuse.

Au milieu du sable, le campement est dressé. Le soleil devient braise vacillante. Le feu crépite pour un simple repas, pour un bien-être après l'effort. Dans la nuit étoilée, je pars récupérer les chameaux avec Lella. Nous sommes au-delà du temps. La voûte du ciel est complice de notre liberté. Les dunes nous encerclent et nous communions dans la douce nuit qui marche.
Sous les astres qui scintillent, je me rejoins doucement pour ne pas troubler la paix du désert. Je m'endors, sereine, contre le chaud des sables.

Le soleil rougeoît à l'horizon. Lella et Nasser prient. Le petit déjeuner est silencieux, autour du thé et de la galette. Tandis que Lella cherche les chameaux, Nasser et moi effaçons toute trace du campement. Le bois à demi-calciné est rangé consciencieusement. Il est précieux car rare. Il servira à d'autres nomades de passage dans ce coin isolé. La fraîcheur matinale s'estompe rapidement pour faire place à une chaleur torride. Pas une miette de vent pour rafraîchir les visages cachés sous le chèche. Pas une once d'air pur pour ponctuer la marche. La lumière vive et impénétrable du soleil est comme une aile immense sur cette terre chaude et sableuse.
Il me faut seulement doser la respiration, me concentrer sur le rythme, sur l'horizon. Je me noie dans une splendide mer de dunes et je suis écrasée de soleil. J'ai soif, avec cette sensation que rien ne pourra jamais me désaltérer. Quelques gouttes de salive humectent mes lèvres desséchées. Tout est immensément brûlant.
Je marche dans la fournaise.
Le temps s'estompe. Mes points de repère se brouillent. Je redeviens nomade, seule avec moi-même. Les heures passent sans moi. Mes pas m'entraînent encore un peu plus loin dans l'oubli, chaque dune franchie me séparant de moi-même.
Courte halte pour boire. Yeux fermés, l'eau coule en moi.
Je rêve de cascade …

Mes pieds souffrent, une grosse ampoule entame le talon droit.
Et le soleil comme un brasier au milieu des dunes qui s'effacent pour faire place au reg.
Du sable et des pierres pour seul horizon.
Le regard de Lella et Nasser pour seul repère.

A la tombée du jour, le chèche devient écharpe. Les gouttes de sueur sèchent et je ressens la douce tiédeur du soir. Notre campement est sommaire mais il me convient bien : le sable sous le corps, la caresse du feu sur les joues et la caresse du vent dans les cheveux.
J'ai oublié d'où je viens; je redécouvre qui je suis. Ce que je suis : une errance dans le temps, en quête de vérité. Elle est entre mes doigts. Tourbillon de tendresse et de promesse.

L'arrivée d'un nomade, surgi de nulle part, me tire de mes songes. Il partage notre repas et nous invite à boire le lait de chamelle et le thé. Dans la nuit aux étoiles filantes, nous marchons vers la tente où sa famille nous accueille avec gentillesse. Grande discussion sur Dieu et ses insondables mystères.
Le retour est gai. Je n'ai pas sommeil.

Etoiles-lumière … les cieux épousent le sable, mon corps niché en eux. Multiples étreintes à ce corps inassouvi, à ces yeux pleins de rêves.
Je me couche contre mes flancs, ma bouche gardant le goût du sable.
Je me détache de tout, comme une nécessité absolue.
Vent muet. Silence du ciel. Parenthèses dans une vie qui se referme.
Sable-vérité. Ma vie se déroule dans ma mémoire.
Je suis seule. Seul désert-confiance.

samedi 23 mai 2009

COMME UN APPEL


Voici mes dernières heures à préparer le sac, à serrer un cordon, et je suis déjà en partance pour l'ailleurs.
Tout ce temps à espérer un autre départ, à compter les mois qui me rapprochent du rêve, à écrire les mots des dunes, à entendre les légendes du désert.
Toutes ces semaines d'impatience contenue, où les pieds trépignent de marcher, où le corps se love dans le silence du néant.

Je quitte pour un instant ma vie d'ici, et dans mes bagages-souvenirs, il n'y a rien. Je connais le poids du désert et l'oubli.
Il ne m'est pas difficile de partir; il me sera difficile de revenir.
Je vais être absence. Le temps me dira …
Je suis encore là, aux portes de l'au-revoir, mais les yeux flirtent déjà avec le désert et ses bruits épars.
Je suis encore là, pour quelques heures, mais l'autre monde m'a déjà happée.
Je n'existe plus que pour l'instant où je foulerai le sol mauritanien.
Dans le calme de mes pensées, l'infini omniprésent. Dans cet avion qui m'éloigne de ma vie, je renais à autre histoire, celle que j'ai laissée en suspens à Chinguetti, il y a quelques mois.
Le désert s'étire sous les ailes de l'avion. Ces vastes étendues qui se profilent sous moi sont le prélude à d'imminentes retrouvailles.

Atar … aéroport … chaleur …
Je suis seule pour capter l'émotion, pour appréhender mon retour.
J'emprunte un taxi brousse pour rejoindre Chinguetti.
Les narines reniflent l'odeur du sable. La piste est là, devant moi, caillouteuse et poussiéreuse. Chinguetti est proche …
Je redeviens nomade, libre de tout et de tous.
La sérénité fait place à la hâte du partir. Je suis enfin arrivée, mais il me faut encore patienter un peu avant de goûter définitivement au plaisir d'être revenue.
Chaque tour de roue est un morceau de route qui s'éteint.
Chaque tour de roue est un ruban qui se dénoue pour me lier au sable.
Les cheveux au vent, je ne suis plus pressée.
Autour du cou, le chèche, symbole du désert.

Installée à l'auberge, j'attends patiemment et calmement, un verre de thé à la main, le moment de me noyer dans les dunes.
A à la tombée du jour, Nemed franchit la porte de l'auberge, tout joyeux de me revoir.
En sa compagnie, mes pas m'emmènent chez Lella. Je sais qu'il m'attend. Il sait que je suis là.

Je marche vite dans le sable, comme un impérieux besoin. Dans la lueur des braises, il est. Dans la lumière du feu, nous nous réapprivoisons.
Son regard est toujours au-delà du temps, sombre et mystérieux. Je ressens un grand chaud en moi qui murmure le plaisir profond de retrouver tous mes amis.
Nos yeux parlent le même langage, celui qui nous lie à un bout de sable, celui de notre rencontre.
Je suis assise autour du feu et la magie opère.
Même ciel étoilé, mêmes odeurs. Tout est intact. Lella nous offre le thé et le repas. Je suis chez moi.
Douceur des retrouvailles.
Je suis heureuse, d'être là, tout simplement, assise dans le sable, autour du feu qui chante mon retour.
Je m'imprègne d'eux, suspendue à leurs lèvres d'où coulent leurs mots, sereins et doux. Nous savions que le temps n'existait pas.
Nous partageons, dans le silence de nos regards, toutes nos pensées, toutes nos espérances.
Nous nous éloignons du campement, pour nous redécouvrir. Nos pas nous portent vers les dunes toutes proches, vers notre passé. Nous cheminons côte à côte, attendant que l'autre vienne briser le silence.
Et puis, tout à coup, le besoin de dire, ensemble, comme une fulgurance.
Les mots se bousculent malgré nos différences de langue. Les mains renouent avec les gestes, les yeux s'accrochent pour se comprendre, les souvenirs ressurgissent, les rires fusent.
Tout est aboli.

Nous parcourons ensemble l'absence;
Nous regardons le ciel que nous avons si souvent admiré, et d'un geste large, Lella me montre le désert, son désert.
Nemed opine de la tête, silencieusement. Ils m'enveloppent des yeux au milieu des dunes, sous la lune qui sourit.
Leur regard de braise plonge en moi. Ils veulent me dire … Je sais qu'ils n'ont rien oublié. Ils savent que je n'ai rien oublié.

Assis dans le sable, nous parcourons nos vies, avides de savoir, curieux de l'autre, avec nos mots, mi-français, mi-hassaniya. Nos yeux parlent fort; ils sont notre miroir.
Nos retrouvailles ont le goût de la nuit, mystérieuse, humaine, profonde et complice.

Devant la porte de l'auberge, ils disparaissent silencieusement. Je n'entends que le bruissement de leur djellaba s'évanouissant dans la nuit.

Tout est bien. Les étoiles sont les messagères de mes pensées.
Elles voguent tout là-bas, où je sais trouver la démesure. Elles coulent comme le miel, libres d'exister, sans limites et sans interdits.
Par la porte ouverte sur la nuit, je m'évade sur le chemin des astres.
Je sais mes amis proches. Tout ce temps séparés aurait pu nous transformés. Il n'en est rien. Au contraire, tout est encore plus dense et plus plein.
Longtemps, je garde les yeux ouverts sur cette plénitude qui me berce pour ma première nuit
.
Au rythme lent du désert, Chinguetti s'éveille.
Au bord de l'aurore, douce somnolence.
Demain, je m'enfoncerai avec Lella dans l'or des dunes.
Avant que le bruit ne prenne possession de la ville, je redécouvre les ruelles ensablées qui me portent vers les échoppes et les thés brûlants.
Errer sans but, sans précipitation pour apprendre à vivre.
Devant moi, le sable, comme un accomplissement.

Des visages connus, rencontrés il y a quelques mois, me sourient et m'invitent à partager le thé. Celui des bijoutiers installés à même le sol; celui des marchandes qui me reçoivent dans leur boutique, sans poser de questions.
Et Mouhamed, jeune étudiant, beau et enjoué, tout heureux de parler français, auprès de qui les heures s'écoulent, tranquilles et riches d'échanges. Il m'invite à la soirée « tam-tam ».

Les rues de Chinguetti résonnent de cette musique, comme un appel à la joie et au rire. La foule se presse autour des tambours. Les corps accompagnent la musique dans l'obscur de la nuit. Les silhouettes drapées de voiles aériens des femmes et les djellabas bleues des hommes, chèche noir sur leur regard de braise, rythment de leurs mains et voix cette mélopée traditionnelle.
Soirée pleine de sons et de sensualité.
La foule grossit, danse, chante. La cadence des tambours s'accélère. Les hanches se déchaînent. Je suis au centre de la musique, lancinante, irréelle, qui m'emplit toute.
Quand les sons s'éteignent, il reste la marche dans le sable pour rejoindre l'auberge et la complicité d'un moment de musique, de danse et de rire. Avant de m'endormir, le tam-tam continue à me hanter, comme un leitmotiv pour me chanter le désert.