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Quai Docteur Girard - 38520 Le Bourg d'Oisans, Alpes du Dauphiné - Isère, France

samedi 22 août 2009

Femme du désert … femme d’un ailleurs …
Egarée dans l’immensité, je suis femme à la conquête de la liberté. Jour après jour, à l’écoute du sable, je suis femme amoureuse d’infini pour qui l’oubli d’hier est symbole de lumière. Nuit après nuit, je suis femme en quête de mirages, perdue dans un océan sauvage où les feux du ciel sont étincelles dans l’univers.
Femme, seulement femme dont le nom s’évanouit dans les sables-poussières. Je suis pleinement femme, sans identité, mais tellement moi. Je donne au vent, au soleil, aux étoiles, les cinq lettres de « Marie » pour qu’elle s’endorme à jamais dans les bras des dunes.
Lella entonne le chant des nomades, avec force, avec foi, pour mes épousailles avec le désert. Je frissonne au son de la voix puissante qui résonne à l’infini. Mon chèche est voile tandis que mes yeux ne voient plus le désert. Ils sont désert. Ils accompagnent, par delà les sables, l’écho de ce chant profond et sensuel. Les notes s’élèvent, vibrantes et pleines et vont mourir dans les cieux étoilés. Ce chant m’est dédié dans le grand silence saharien, pour que chaque son soit l’empreinte de mes pas dans le néant, pour que mon corps brûle toujours des mêmes désirs sur les chemins du rien, pour qu’enfin ce chant ancestral des nomades que j’entends pour la première fois soit à jamais en moi comme le cadeau de bienvenue au milieu des siens.
Ce chant m’étreint, poussière de musique dans les millions de poussières qui nous entourent, mes mains ouvertes autour du feu, imprégnée de la magie du désert qui ose pousser les limites de la paix intérieure aux portes d’un chant grave et serein. Il ne s’éteindra plus jamais en moi, et je reste là, immobile, silence parmi le silence, me noyant dans le désert. Son chant meurt sur la plainte du vent, et Lella, doucement, murmure : « Zeine Hata » … Tout bascule en moi. Je veux me noyer encore et encore dans la musique du désert, celle qui ensorcelle pour mieux m’enfanter. Je palpite dans le sombre des yeux qui me lie à la sensualité sauvage d’un désert-amant. Et pourtant, je ne bouge pas, incapable du moindre mouvement, toute entière à l’écoute d’un corps qui aime passionnément chaque miette d’un temps qui n’existe plus depuis longtemps, d’un corps qui caresse chaque grain de sable, d’un corps à l’unisson d’un plaisir sans nom qui me laisse ivre d’émotion et libre, tellement libre …
Enfin, j’entends les lèvres muettes des chameliers qui prient.
Enfin, il me faut quitter ces terres vierges, vertigineuses de plaisir pour renouer avec moi.
Je m’allonge face au ciel, yeux fermés, dépossédée de moi, vide de moi. Je me laisse dériver dans le néant des pensées ; je veux seulement chavirer sur la houle de la tendresse pour cicatriser les blessures d’un plaisir infini, celui qui laisse pantelante de trop désirer. Le désert me fait l’amour si souvent, et je fais depuis si longtemps l’amour avec lui. Il repousse toujours plus loin mes attentes et mes exigences. Un amant aux couleurs d’un infini doré et lumineux qui éclaire mon âme de tant de feux et de tant de dons …
Le silence de la nuit m’engloutit avant de sombrer dans un sommeil sans rêve.

... Femme d’un jour, d’une nuit et de tant de jours et de tant de nuits …
Femme nomade d’un désert qui emprisonne plus fort que les serres.
Femme errance d’un horizon qui enferme plus fort que la prison.
Femme passion d’un désert qui brûle plus fort que les tisons.
Femme existence d’un toujours qui se désire plus fort que l’amour.
Femme sauvage d’un infini qui se donne plus fort que la vie.
Femme du désert ; femme de l’intemporalité ; femme d’un ailleurs.
Femme … elle …
Les nuits ont été étincelles pour une femme qui se voulait elle.
Les nuits ont été dérive pour une femme qui désirait vivre.
Les nuits ont été sérénité pour une femme qui cherchait la vérité.
Les nuits ont été abandon pour une femme qui voulait la passion.
Les nuits ont été reflets pour une femme qui espérait la paix.

A l’aube d’elle, elle a marié la démesure et le rêve à l’aurore de l’autre.
Pas après pas, elle a appris le désert près de celui qui savait conter les mystères.
Elle a su se mêler à l’infini sauvage près de celui qui savait déchiffrer les nuages.
Elle a écouté l’appel des sables près de celui qui savait entendre l’impalpable.
Elle a prié dans l’obscurité des cieux près de celui qui parlait à Dieu.
Elle a fermé les yeux près de celui qui chantait le merveilleux.
Elle a confié sa vie à celui qui veillait sur ses nuits.
Ella a vu l’aura du désert près de celui qui rayonnait de lumière.
Elle a marché longuement près de celui qui était désert.
Elle … moi … tellement elle, tellement moi …

Mon histoire est là, simple de passion dévorante et d’amour infini. Je l’ai construite, pas après pas, pour me libérer et aimer sans limites. J’ai bâti ma Légende au creux d’un désert dont les poussières d’or s’envolent quand le vent chante l’immensité de l’Amour.

Quand je suis loin des sables, il me suffit de fermer les yeux pour me noyer dans l’infinitude d’un regard, d’un chant ou d’un silence, pour que je sois nomade, totalement nomade et seulement nomade.

mardi 4 août 2009

Au fil des dunes et des crépuscules pourpres, je ne transporte que ma carcasse libérée de tout carcan et il est bon de se savoir désenchaînée et forte d’un autre devenir. La vie me transperce de toutes parts, sans un instant de répit, sans cesse en défi avec moi-même. Une vertigineuse énergie me bouffe et me subjugue. J’avance dans l’unicité de mon être reconstruit, remodelé et reconsolidé.
Chaque bivouac est une ode au jour qui se meurt et chaque bivouac est un pas accompli vers ma destinée. La Vallée Blanche se creuse des sillons des oasis ou des palmeraies pour offrir quelques heures plus tard le paysage des dunes épousant les montagnes.
A califourchon sur ma vie, j’esquisse des dessins oniriques aux couleurs chaudes et tendres, des teintes fugaces ou ensorcelantes qui se prennent aux pièges des voiles sahariens. L’alchimie du désert fait exploser des éclats de pureté et de profondeur.
La lune me fait un clin d’œil, halo laiteux avant de disparaître dans l’incommensurable. Complice de ma destinée puisque je lui parle chaque soir, elle m’accompagne dans mes dérives qui se perdent dans les contours de la nuit. Je refuse le sommeil pour bavarder avec le silence. Je refuse de dormir pour mieux vivre. Tout est jouissance dans l’immobilité du corps, dans le bouillonnement des pensées et dans le gigantisme des sensations. Je plonge dans le dépaysement de ma vie, et je bois goulûment aux rêves qui me sont offerts. Dans le fantastique de la nuit, les mythes dansent au cœur de ma vie et m’entraînent sur les chemins de nulle part. Aucun désir de me désenvoûter des sortilèges du désert ; je suis trop bien dans les bras de la passion, sur les berges idylliques d’un désert qui me possède. Le vertige de la nuit m’étreint sur le chant intarissable de la contemplation. Là, dans les entrailles de ma vie, je vole vers les immensités inviolées qui me sont offertes comme le plus merveilleux des cadeaux. Comme un fruit pulpeux dont la chair serait pleine et tendre, je me laisse dévorer doucement jusqu’au petit matin. Les lèvres de la nuit me caressent pour m’emporter dans les songes les plus fous. Le voile de la conscience se déchire alors et comme un diamant brut, mon corps se laisse polir, façonner par les mains mystérieuses et satinées de la nuit. Je ne compte plus les lambeaux de ce qui fut moi, abandonnés au fil des pas, pas plus que les morceaux de mon âme éparpillés au gré du vent. L’aurore me trouve blottie dans un écrin de douceur infinie, affamée d’un autre jour, d’un autre moi-même.

Au fil du temps, mon baluchon se fait léger comme l’air que je respire à pleins poumons. Il s’est délesté du poids du passé. Je vagabonde allégrement sur le présent de ma vie. Je n’attends rien et ne veux rien, rien que cette magie d’être « une ». Je me retrouve unifiée, au milieu d’un désert qui ne ment pas.
Voyageur sans limites ni attaches, je me mêle aux paysages, décryptant chaque jour les messages des sables brûlants et des mirages. Je ne veux que le silence pour unique danse. Jour après jour, je calfeutre mon âme dans un écrin de solitude totale et me perds dans la toile des errements quand la nuit surprend le campement. Sur les dérives de ma foi, mes pas ne sont que poursuite pour palper les non-dits écrits dans les poussières opuscules. Les braises éclairent mes attentes, inscrites sur les pierres brunes, comme autant de mots pour balayer ma fuite.
Dans cet erg immense, je me nourris du plein silence et des regards intenses, du vent déchaîné et des pas mêlés, des brûlures du soleil et du froid des veilles. Je longe les crêtes, balayées par les vents, les gravis pour dominer le monde et me surpasser. Je vais vers ce rien qui se dessine comme une ligne invisible dans les tourbillons blancs du chant des dunes. Et dans le calme du désert, je mords la poussière, bras grands ouverts pour accueillir la terre.

lundi 3 août 2009

Je n’ai aucune peur du désert, ni aucune peur de ma vie, de l’échéance d’une vie. Je n’ai aucune peur des brumes balayant les décombres de mon passé. Je n’ai aucune peur du poids du silence sur le manuscrit de ma vie. Je n’ai aucune peur du lendemain, de ce jour d’après la nuit qui engendre les réveils pleins de promesses … le réveil du désert plein de vie contenue, de vie que l’on sent sourdre de la terre, de cette terre stérile en apparence et pourtant riche de mon devenir, de ce bouillonnement de vie dans chaque grain de sable qui ponce l’être humain jusqu’au noyau. Le livre de ma vie ne parle d’aucune peur que pourrait engendrer la solitude du désert. Aucune peur face à moi-même, face à la vie, face à la mort. Jaillissement extraordinaire de sève jusque dans les prémices d’un inéluctable départ. Le désert épouse la vie, comprend la mort pour mieux aimer la vie. Non, aucune peur de l’abandon de la vie puisque le désert me montre le chemin de la vraie liberté dont je saisis le sens profond en me nourrissant de sable et de vent.
… Des lendemains comme aujourd’hui ou comme hier dans la fugacité de l’éternité …
Je nourris le brasier de ma vie aux feux de la solitude et de l’abandon. J’aimerais que le désert m’initie à tous ses secrets. Alors je suis sans complaisance avec moi-même ; je me dépouille de tout pour tenter de comprendre.
Parcours sans cesse initiatique qui érode un peu plus l’écorce de ma vie, que je gratte pour en extraire le suc. Je marche, étreignant la prière de la vie sur l’autel du désert.
Comme un alléluia face à l’horizontalité, je me meurs à chaque pas pour renaître à cette autre vie, pour me déshabituer de toutes ces années d’à-peu-près que je transporte malgré moi, pour réapprendre à vivre … s’il en est encore temps.

La Vallée Blanche est une procession d’oasis immergées au cœur des dunes. Quand la fatigue se fait sentir, l’or des sables me murmure les contes de ce grand Sahara qui n’en finit pas de ressusciter. Et comme par miracle, des ondes d’énergie m’envahissent pour me faire avancer, encore et toujours. Quand les efforts sont récompensés par la paix des bivouacs et l’histoire du ciel étoilé, ma vie devient transparente et limpide comme l’eau. Mon habit se détache et l’arbre de vie se dessine alors au cœur de ma nudité, tronc s’élançant sans ramification, tourné vers l’Essentiel, ayant rejeté les faux-semblants. Ca fait mal de se desquamer, d’apprendre à désaimer ce qui n’est pas important, de s’abandonner à une autre dimension pour qu’enfin la vraie source de vie éclate en soi.
Je vis chaque soir cet éblouissement de perte d’identité pour me façonner un autre devenir, un autre « moi », même si le processus est douloureux, même si le miroir ne renvoie pas l’image que je souhaite.
Lorsque la nuit se fait noire et me drape de filaments célestes, je fais corps avec le désert et vole à la rencontre de moi-même. L’union est brève, intense et cette fraction de seconde me chuchote que l’existe enfin autrement.
Faut-il être quémandeur pour partir à la recherche de soi ? Je ne sais pas. Je ne sais que l’empreinte au fer rouge dans le sang de ma vie qui me pousse à aller au-delà de la facilité, au-delà du commun. Je ne sais que cette force incontrôlable qui me possède et me projette dans le royaume de l’absolu. Chaque pelure n’est plus qu’un souvenir, abandonnée sur les terres d’une vie fantôme, aux portes des territoires vierges où tout est encore possible. Déchiquetés, broyés, les masques tombent en poussières pour mourir doucement. Dans les bras du sable, la chrysalide s’ouvre en une corolle d’or et s’épanouit à la lumière de l’astre. Dans l’opacité de la nuit, j’entends le chant des sables qui se fond dans l’insondable et je rêve au temps qui doucement s’enfuit.
Je ne peux plus me projeter dans le passé ou regarder en arrière ; la pensée bute sur le présent, obstinément. Tout est plein dans l’instant « T » et seul compte cet instant. Parcourir le passé n’a aucun sens puisque tout prend une autre valeur. Essayer de rebondir avec ses acquis n’est que pure fiction puisque tout est neuf et sollicite d’autres yeux.
Je dois bannir la peur de ma perte d’identité car de cet abandon va naître un autre moi-même. Je dois me laisser dominer et ne plus agir. Alors seulement de plein fouet, je reçois la lumière du désert qui éclaire ma route et me fait découvrir différente. J’accède enfin au dépouillement complet et je sais que je suis prête pour l’autre monde. J’oublie, comme une évidence, mon parcours de vie jusqu’alors pour ne tendre que vers mon moi profond.
« Etre désert » : rêve devenu réalité ; je respire le désert ; je vis le désert ; je sens le désert et je suis désert.

lundi 22 juin 2009

Partager la fatigue, qu’elle soit mienne ou nomade, et aller au-delà, malgré tout, pour avancer encore, installer le campement, et enfin prendre soin de nous. Partager la beauté par le regard, partager l’envie de dire avec les mains, partager les rires ; partager le désert et partager l’histoire de l’autre, en étant attentif et réceptif à l’autre …
Ce jour où je parcours, pendant cinq heures d’affilées, dans un grand vent de sable, un cordon dunaire m’encerclant de spirales irrespirables, où le chèche n’est qu’un faible rempart face aux tourbillons, où le regard ne peut accrocher que la djellaba des chameliers à quelques pas de moi …
Le vent qui étourdit, enivre, fatigue ; le vent qui chante fort le désert mais qui le laisse désirer … le vent qui ne laisse entrevoir que moi-même, un vent fou contre lequel je dois lutter pour progresser … le vent qui ne veut pas faiblir pour me laisser me désaltérer … le vent qui sèche les lèvres, les poumons, les yeux … le vent de sable qui noie les pas et les souvenirs, efface les jours de pierre et de damnation, pétrifie les pensées, balaie les tourments de la vie et purifie le devenir.
J’écoute les sons des tourbillons qui grondent et se déchaînent comme des monstres. La musique du vent nous enveloppe, nous dit de nous prendre par la main si nous voulons aller plus loin.
Le vent me murmure la beauté de ces paysages sans cesse renouvelés, me chuchote que nous sommes rires et tendresse au milieu des dunes argentées.
Le vent me crie que nous sommes seuls à marcher en ces lieux, yeux dans les yeux.
Et le vent me souffle de continuer à aimer pour apprendre à vagabonder sur le chemin des secrets.
Le vent qui psalmodie le chant monotone de l’infini, ourlant de notes graves et sourdes la partition de la vie.
Je l’apprivoise comme une danse volupté et j’erre de volutes en ombres tamisées, mariant les traces ensablées aux pas captivité. Le vent me parle encore et encore, de sa voix de stentor, avant de s’en aller mourir, avant d’avoir fini de me dire.
L’arrêt « pique-nique » me trouve déshydratée et « barbouillée ». Lella comprend mon mal-être physique et prépare le « srig » sans un mot, tranquillement. Je bois trois grandes jattes de cette préparation énergétique et mange un peu. Je regarde mes amis vaquer à leurs occupations. Au coucher du soleil, je me sens ragaillardie et le bivouac est un havre de paix, niché au creux d’une minuscule oasis. Il est bon de savourer ces instants de quiétude, quand la théière commence à chanter sur le feu de bois, que les reflets de la nuit inondent l’horizon de couleurs pourpres et que les sons s’éteignent pour ne laisser entendre que le silence. Je n’échangerai pour rien au monde, ces instants de pur abandon dans la grande vague des plaisirs où se mêlent l’odeur du désert, la chaleur des braises, les chants des nomades, la naissance de la nuit et les mots murmurés pour ne pas briser la magie.
Etourdie de bourrasques et de soleil, je n’ai pas sommeil.
Mes yeux captent les messages d’un territoire non sage qui dessine sur ses rivages l’ombre de mon visage.
J’emprisonne les désirs, paumes ouvertes sur les délires, n’existant que pour embellir ce qui ne saurait mentir.
Je me prends au piège des immenses filets dorés qui m’enferment au sein de leurs sortilèges, et sous la caresse du monde, j’atteins le merveilleux dans l’obscurité des cieux. J’étreins la galaxie des lumières insondables pour lui dire merci. Les paillettes mordorées m’éblouissent de mille reflets et je me noie dans les chuchotements que je retiens dans la vasque des doigts au sable sertis.
Que désirer d’autre que je ne possède ? Ma vie est là, tout entière à moi, en moi. Je ne peux m’échouer que sur ma propre vie. Je la sens palpiter en moi, comme un cri se répercutant en écho infini.
Que désirer d’autre qui ne me soit donné ? Cette terre secrète est le théâtre de ma vie, la scène de ma quête d’absolu et de ma soif de connaissance.
Que vouloir d’autre que je n’ai déjà ? Cette contrée lointaine où je me repose de ma vie est mon port d’attache qui ne me lie qu’avec moi-même. Patrie de tous les espaces, cette terre est ma terre car elle me permet de lire le livre de ma vie. Un livre grand ouvert sur des pages immaculées de rien ou seulement parsemées d’étincelles d’or ; un livre plein de rêves couleur nuit ; un livre où les images ne sont que des esquisses de la démesure.
L’élégance du désert, c’est de me laisser raconter ma vie, à mon rythme, sans précipitation, sans contraintes. Mon cahier de voyage est la lecture d’un désert exigeant comme un amant, qui m’apprend à mieux vivre, à mieux être. Je peux rester ainsi des heures durant, effleurant les épures de ma vie, ou au contraire, me laissant submerger par un torrent de visions d’un passé qui ne m’appartient plus.
Je prends la main du désert dans la mienne pour ne pas me perdre dans les coulisses de ma vie, pour abandonner toute obsession qui ne me lierait pas avec lui.

samedi 20 juin 2009

J’aborde l’autre parcours, pleine d’énergie, car le désert se fait indulgent et lumineux, comme pour mieux m’ensorceler. Encore quelques pierres pour me sevrer doucement avant de plonger dans les grands ergs de Timinit.
J’ai supplié le ciel de m’offrir des dunes quand je galérais dans le reg et je suis exaucée : une multitude de courbes légères, sublimes, majestueuses m’encerclant pour me réconcilier avec les sables ; des ondulations fragiles dansant avec l’astre du jour ; des teintes limpides et blondes pour mériter le nom de « vallée blanche » ; des circonvolutions couleur soleil m’étreignant paisiblement ; des ondes de sable, immenses et aériennes épousant le ciel ; des volutes de poussières dorées s’évanouissant dans l’envol des chèches sous le souffle du vent … et des pas qui marchent au gré de la liberté, au creux du rien.
Un rien comme une caresse sur la peau, une harmonie de sons couleur silence qui se balance de dune en dune, et qui se noie dans la plénitude des sens ; un rien comme une lumière étincelante sur un désert aveuglant de beauté ; un rien plein de sensualité qui dessine les arabesques de l’amour ; un rien comme une immatérialité entêtante sur la danse de la vie ; un rien comme l’apaisement après la tempête, qui effleure l’onde de vie nimbée de puissance féconde ; un rien comme une étreinte solitude nouée aux racines minérales ; un rien humilité comme apprentissage de la vie.
Je me suis séparée de hier, des pierres, pour m’assoupir dans le ventre des dunes. Revenir d’un désert pour revenir au désert, m’enfonçant dans le royaume des légendes et des soleils couchants.
Timinit, Maden, Chatou … les noms chantent de crête en crête. Eblouissement des couleurs ocre, or, blanches et pures, comme des voiles de lumière sur un océan de dunes rougissantes et dorées.
Eclatement sur l’inoubliable, inaccessible démesure cristalline comme une ode à la création.
Mythique désert qui m’offre le paradis, jonché de jardins et de palmeraies.
Somptueux contrastes dont je ne peux détacher le regard, avide de comprendre la nature et les « pourquoi » face à de tels lieux.

Les jours naissent et meurent au milieu des sables et du silence. Nos pas sont feutrés et caressent les dunes pour mieux les aimer. Les bivouacs retrouvent la vérité des cieux, inondés d’étoiles filantes et de constellations. Mes deux amis chameliers chantent le désert, Dieu, l’Amour. Comme ils sont loin de toutes les considérations que nous côtoyons chez nous … loin de ce qui fait mal, de ce qui n’est pas la vraie vie. Ils vivent au rythme du soleil, de la générosité du repas partagé, des rires autour du feu, des prières solitaires ou avec d’autres nomades, des marches interminables et des feux, symboles de complicité et de bien-être.
Tout est intimement noué dans l’espace-temps, dans l’espace-liberté, dans l’espace-infini.
Je marche au diapason de cette vie, sans fard et sans superflu ; je marche, solitaire et pleine de toutes ces richesses. Oui, c’est ça : je suis riche, immensément riche de sérénité et de paix. L’aura du désert me fait riche de mille sensations, de mille perceptions. Oui, je suis riche de « rien », qui ne se compte pas en euro, qui ne peut se monnayer sur aucun marché boursier. Je suis riche de plénitude et de compréhension.
Comment expliquer que l’on peut être heureux en marchant dans un monde qui n’offre rien en monnaie trébuchante mais qui donne tout ? Comment expliquer ?
Peut-être y a-t-il ici plus qu’ailleurs la notion de partage, non pas un mot théorique et vide de sens, mais vécu quotidiennement dans chaque acte, à chaque instant : ce partage dans l’écoute de l’autre quand les salutations s’éternisent pour demander des nouvelles de la santé, de la famille, du village, dans l’aide apportée autour du puits, dans le repas ou le thé offert à tout hôte émergeant de nulle part, sans poser de question, dans l’attention muette accordée à chacun … D’un seul coup d’œil, le nomade voit ce dont l’hôte a besoin et prévient sa demande. Le plus extraordinaire est le partage du silence, quand les nomades, après une rude journée de travail, se retrouvent autour du feu et écoutent, ensemble, dans une communion profonde et paisible, la solitude du désert. Imperceptible, mais ô combien présent, ce partage dans la douceur des mots, dans la douceur des gestes, et surtout dans le silence qui nous enveloppe. Pas de bruit superflu … ils m’intègrent dans ce partage où je me fais silence dans le moindre mouvement, où j’acquiers au fil des jours, l’immobilité qui est la leur dans la contemplation du feu ou du soleil couchant. Les mains se tendent silencieusement pour donner le verre de thé ou les dattes. Religieusement, ils entendent le désert, les yeux baissés, goûtant au repos bien mérité. Je n’ai que le droit d’être heureuse, à l’écoute de leur partage perceptible dans chaque goutte de silence. Comme il est bon d’être ainsi, entourée de douceur et intégrée dans leur cercle qui s’ouvre naturellement à chaque nouvelle arrivée. Je suis riche de ce partage émotionnel intense et de bien-être paisible.
Je vais ainsi, partageant mon histoire, de palmeraie en campement, de dunes en oasis, de crépuscule en aurore, avec des nomades qui m’accueillent à bras ouverts et qui mettent tout en œuvre pour que je sois bien.

mercredi 17 juin 2009

Les yeux à peine ouverts, je sens la présence des enfants hors de la tente. Ils se tiennent à distance. La galette cuit. Je range mes affaires et partage le pain avec eux.
Ces nomades sont une partie du monde, oubliés de tous, même de Dieu.
Comment vivre dans de tels lieux inhospitaliers, qui ne donnent rien ? Comment vivre ici ? Aucun espoir à mille lieux à la ronde ; aucun espoir si ce n’est la survie tout simplement.
Avant de partir, je salue l’hôte qui nous a si gentiment reçus et règle notre nuitée. Je me retourne sur des enfants en haillons qui me font de grands signes en souriant. Je me retourne sur un désert que j’apprends à aimer. Je me retourne sur le néant, le froid des pierres et le regard des femmes sous les tentes. Je n’oublierai jamais cette traversée qui laisse en moi les séquelles d’une marche maudite avant la rédemption. Je suis heureuse d’avoir vécu ces moments de rejet parce que maintenant, je sais … Je sais la dimension humaine d’un village de pierres où le rien est roi ; je sais que du rien jaillit la renaissance ; je sais qu’il faut traverser les affres et l’incommodité de tels lieux. Je sais que l’on doit aller au bout de ses attentes pour être récompensé, et qu’il faut faire confiance au miroir de la vie, de sa vie.
Malgré tout, contradiction en moi : « rien » synonyme de pauvreté ou « rien » symbole de plénitude intérieure ? Je suis au milieu de la misère, et c’est là que je me reconstruis sur des pierres informes et froides. Je touche du bout des doigts l’âpreté de tels lieux, et du bout du cœur, je palpe une vérité de vie, nichée là, qui ne demande qu’à germer en moi puisque je suis devenue pauvre de possession. Je me regarde et ne me vois plus : qu’ai-je encore à moi, si ce n’est juste un bol pour manger, un duvet pour dormir, les mêmes vêtements jour après jour, et rien de superflu dans la nourriture …
Je suis sans apprêt, sans rien qui m’appartienne vraiment.
Lorsque je pose la tête pour dormir, au creux de mes bras pour unique oreiller, que j’entends le souffle régulier de Sidi et Lella, je sais ce que le mot « rien » peut signifier. Je n’ai que le strict minimum pour faire face aux aléas de la météo, pour assurer une toilette très succincte, et … c’est tout. Ma brosse ne peigne plus depuis longtemps les cheveux emmêlés et remplis de sable ; je n’ai que les mains pour toucher le visage car le miroir de poche est relégué au fond de ma trousse, inutile et vain. L’image de moi est intérieure ; c’est celle que j’offre à ceux qui m’entourent. Voilà ce « rien » que je suis venue chercher tout au fond de moi, tout au bout des sables, et qui m’emplit toute. Ma seule possession, ce sont mes mains qui se tendent vers moi ; c’est mon propre regard sur moi ; c’est mon corps à l’écoute de mes propres pas… Il n’y a rien … rien que moi avec moi. Je dois me contenter de ma seule compagnie ; autant dire qu’il faut s’annihiler pour avancer avec soi-même, pour discuter de longues heures solitaires avec soi-même, pour trouver chaque jour un sujet de conversation intéressant, non pas un monologue, mais un vrai dialogue entre sa pensée et les réponses glanées dans le sable et le soleil. Le vent se moque parfois de moi quand il me ressasse sans arrêt cette phrase : « tu voulais goûter au rien ; eh ! bien, le voilà : il est devant toi, derrière toi, autour de toi, en toi ». Le vent se fait grave quand il me dit : « remplis-toi de lui ; fais-le tien. Et si ce rien te parle, alors écoute-le, car il est sagesse et connaissance. Ecoute attentivement le silence du rien ; tends l’oreille et même si tu crois que tout est muet, tu te trompes et tu le sais. Il te faut être encore plus en osmose avec le rien pour en percevoir toute sa richesse. Ne te décourages pas ; ne te détournes pas de lui et si tu peines sur ses rives, c’est que ce silence là se mérite et s’obtient par abnégation de toi, par oubli de toi. Tu n’es pas allée assez loin dans le dépouillement et c’est pour cela que tu te heurtes à son mutisme ; déshabilles-toi encore plus ; sois simplement nudité pour avancer sur sa route et lui te vêtira de compréhension et de richesse ».
Au milieu du rien, je ne suis qu’un corps mal fagoté, mal lavé … mais la réalité est là : je ne suis rien, je n’ai rien, je n’attends rien … mais je suis heureuse. J’ai entendu le vent et compris son message.
Mais est-ce un fragment de bonheur puisque je ne palpe qu’un fragment du « rien » ? Pourrais-je tenir les mêmes propos si je devais être confrontée, jour après jour, à la pauvreté du « rien » ? Pourrais-je me sentir aussi libre si je n’avais que le « rien » pour unique horizon ? Ce « rien » qui m’est donné d’aimer ne dure que le temps d’une miette de vie. J’ai conscience que ce rien ne signifie pas la même chose pour les nomades qui vivent là, le temps d’une vie entière. Je bascule entre deux perceptions, plénitude intérieure et réalité abrupte d’un rien qui fait mal et qui dérange. Juste un morceau de rien pour mieux me comprendre, pour mieux m’atteindre : voilà ce que le désert m’offre, ne me demandant nullement de passer ma vie, retirée du monde. Ce rien est juste une étincelle dans ma parenthèse désertique pour me situer par rapport à moi-même. Ce rien n’a aucune adéquation avec la vie quotidienne car celle-là est difficile, ardue, pénible, âpre, miséreuse. C’est peut-être pour cela que les nomades, ne possédant rien, sont capables de rires, de générosité et de tendresse, car ils portent en eux naturellement la compréhension de la vie que je suis venue chercher auprès d’eux. Il est bon, tout simplement, de vivre un instant ainsi, qui permet d’aller en soi et d’en sortir vainqueur et libre.

mardi 16 juin 2009

Pour la quatrième journée consécutive, nous chargeons les chameaux pour nous enfoncer dans ce reg qui s'étire comme un écheveau. Le vent nous accompagne et dans le ciel déchiré, ne se profilent que de rares coins bleutés. Mes sandales épousent tant bien que mal ce terrain chaotique et je ne peux porter bien longtemps le regard au-delà de mes pieds sous peine de me tordre les chevilles. J'ai sûrement quelque chose à apprendre de ce désert, mais quoi ?
Enfin, Lella m'annonce que nous approchons de l'oasis. Je regarde fixement ce qui se dessine devant moi, mais ne vois rien que ce que je vis depuis quatre jours. Mes yeux ne sauraient-ils plus voir ? Son-ils fatigués de trop de pierres, usés par le vent et l'étau du désert qui se referme inexorablement sur moi ? Comprennent-ils le langage nomade qui exclut du vocabulaire la notion de distance telle que nous la percevons chez nous ? Car j'imagine des palmiers, de l'eau, des tentes … et ce que je devine me laisse entrevoir le pire … Quelques rares maisons de pierre disséminées au milieu des pierres ... paysage pesant de désolation. Un homme s'avance, des enfants dénudés et frissonnants l'entourent. Après les échanges de politesse, Lella discute d'un éventuel emplacement pour nous. A quelques pas, un semblant de terrain vague cerné par des ruines … nous installons la tente. Je ne dis mot, résignée et mal à l'aise.
La misère est là : des khaïmas usagées, jaunies par le temps, ouvertes à tous les vents; les femmes y sont réfugiées, autour desquelles se blottissent de petits enfants. J'entends des pleurs de bébés. Les plus grands nous entourent, en cercle silencieux, ne demandant rien, n'attendant rien. Ils vivent quotidiennement dans le rien, ne voient que le rien, n'entendent que le rien. Je suis « mal »; j'ai envie de détourner la tête pour me reposer de ce « désert » qui m'étreint, mais la réalité est là, au cœur des pierres. Petit à petit, j'apprivoise les enfants, ou peut-être m'apprivoisent-ils ? Des rires fusent en catimini; malgré leur malheur, ils ont l'œil qui pétille et l'innocence de leur âge. Nous leur offrons des fruits qu'ils se partagent en retrait de la tente. Puis ils disparaissent. Je veux savoir où je suis, de quoi demain sera fait. Lella me rassure en me disant que nous irons découvrir El'Berbera tout à l'heure.
En attendant, je cherche désespérément un arbuste ou acacia pour assouvir un besoin naturel. Tout est désert …
Et pourtant, à quelques centaines de mètres de là, au coeur d'une immense faille, nous découvrons la beauté sauvage d'une oasis secrète et chatoyante. Des dunes de sable tapissent la descente comme du velours. Les palmiers et la végétation dense s'enchevêtrent au milieu des sources et des jardins. Les cascades jaillissent des blocs de rocher … un enfant chante … chaque anfractuosité de terrain recèle un trésor : des fleurs, des fougères, des « choux » … Nous sommes au fond d'une gorge profonde, sableuse et sereine. Chaque méandre nous entraîne un peu plus loin dans la découverte et nous marchons ainsi deux heures.
Alors, seulement, je comprends que les jours précédemment vécus avaient une signification, qu'il me fallait simplement être patiente car toute situation, aussi difficile soit-elle, a toujours un sens que le temps nous permet de décrypter.
Demain, d'autres horizons m'attendent, moins abrupts, moins sévères, mais ceux que je viens de traverser trouvent enfin leur place dans ma perception. Je devais vivre cette expérience. Le désert « reg » peut être envoûtant et ensorcelant. Ce n'est pas une carte postale, ce n'est pas un lieu idyllique. Et pourtant, il dégage une force, une saveur, un goût particulier, farouche et tenace. Avoir galéré dans cette pierraille n'était pas vain pour mieux comprendre l'enseignement du désert.

Le thé est partagé avec deux villageois. Nous les invitons à dîner mais ils déclinent l’invitation avec respect. Les enfants attendent et nous leur servons du riz et des légumes. Quelques minutes plus tard, une jatte de lait battue est offerte en remerciement. Dans la soirée, les pleurs des bébés s’éteignent et le vent murmure sa prière.

lundi 15 juin 2009

Le lendemain, comme hier, sans fin … J'accueille la prière et la fraîcheur matinale comme une ode à la terre. Sidi verse de l'eau frémissante pour un thé à la menthe et je croque un morceau de galette tendre.
Les nuages accrochent toujours le ciel, les épousant pour mieux les confondre. Lella et Sidi ne me voient pas; ils progressent souplement, en grandes enjambées. Les chameaux avancent prudemment; ils ont mal aux pattes sur ce terrain déformé. Les kilomètres s'additionnent au fil des heures sur la monotonie lunaire et caillouteuse du terrain.

Un peu de sable et un petit acacia nous accueillent pour un autre bivouac avec le vent pour seul compagnon. Immuablement, les chameliers répètent les mêmes gestes pour installer la tente, faire le thé, préparer la soupe mauritanienne et les pâtes.

La nuit prend possession des éléments, nous encerclant et nous emprisonnant dans notre demeure de fortune. Je sens et j'entends le vent s'engouffrer sous la toile, la soulevant par intermittence et la faisant trembler avec force. Le piquet central tient bon malgré la violence des bourrasques, et une petite pluie nous fait rentrer précipitamment les provisions et les sacs. Les pierres, la pluie, le vent …
Mais rien ne m'inquiète puisque je suis hors du temps.
Je suis ce temps m'égarant dans la musique de la nuit.
Je suis une goutte de ce temps, m'évaporant au milieu de nulle part.
Je m'évanouis dans l'éternité, fuyant ce temps que je croyais maîtriser.
Je me promène dans le temps qui se meurt dans l'imparfait.
Je parle le langage du temps, indomptable et inconsistant.
J'essaie de percer les secrets du temps qui ne s'expliquent pas avec des mots savants.
Pourrai-je un jour aimer suffisamment le désert, celui qui demande l'abandon total de la notion de temps ?
J'entends le souffle du désert et celui du temps et je marche sur son silence.
Alors, je sens le temps, non pas comme une rumeur, mais comme un brise sur mes habits intérieurs.

Que dire de la journée suivante si ce n'est qu'elle est semblable à celle de la veille ?
Je veux croire à autre chose qu'à ce silence caillouteux mais je ne peux qu'avancer sur les traces sombres d'un ciel plombé d'une pluie menaçante qui reste en suspens.
Les chameaux n'apprécient pas ce terrain et le font comprendre. Sidi a la corde tendue au bout des bras et essaie de les orienter au mieux. Je voudrais accélérer l'allure pour sortir de cet enfer, mais il est impossible de demander d'autres efforts aux chameaux. Quelques maigres traces de végétation me font croire au miracle d'un changement de paysage, mais ce n'est qu'illusion.
… Aller au-delà de l'horizon pour voir, mais la ligne qui s'approche ne prédit rien de bon, car c'est la même démesure qui m'entoure. Les points cardinaux se ressemblent et seul le soleil qui perce me donne une heure approximative. Lelle me dit que nous arriverons bientôt au terme de cette marche pierreuse et difficile … sûrement demain … mais que nous ne pouvons faire autrement pour rallier El'Berbera en venant de Terjit. Personne ne s'aventure ici; c'est un circuit délaissé à cause de sa rudesse.
Enfin deux grosses dunes au loin me laissent penser que nous approchons du but. Ce sera notre troisième bivouac dans des conditions plus agréables.
Etre confronté à l'originel, et ne voir âme qui vive rend obligatoire les interrogations intérieures et l'uniformité du terrain annihile la notion de temps. Rituel du feu, du thé pour ponctuer le jour et la lune pour m'indiquer qu'il est l'heure d'aller dormir … même si les yeux refusent obstinément de se fermer. Je bavarde avec Lella tandis que Sidi chante Dieu. Nous avons dressé la tente et glissée dans mon duvet, j'écoute le vent avant de m'assoupir doucement dans le ventre de la nuit.

vendredi 12 juin 2009

Au-delà du regard


Le désert est là, chaos de pierres et de failles, avant la fontaine poussières d'or sur la démesure. Je transporte mon baluchon de nomade, revenant sans cesse au point de départ. Dans ce sac, ma seule richesse : vêtements ayant déjà bien bourlingué, mais toujours curieux d'autres horizons. J'emporte peu pour ne pas m'alourdir; je m'habille seulement de silence et de vide.

Oasis de Chinguetti … poussières innombrables dans l'infini retrouvé. Mes yeux épousent le soir, cherchant la khaïma comme un espoir qui transporte mes pas.
Pourquoi retourner sans cesse dans ces mêmes lieux, me dira-t-on ? Je n'ai pas de réponse, seulement le désir profond d'errer sur les chemins de l'ailleurs pour comprendre le sens de ma vie. Il ne faut pas grand chose pour partir à la rencontre de soi : deux chameliers, trois chameaux, quelques vivres, de l'eau et le regard rivé au loin.

Désert de pierres sans fin … chaque pas est un franchissement d'obstacles plus ou moins importants, plus ou moins visibles. Cela ressemble étrangement aux aléas et aux embûches d'une vie. Le vent est là, qui m'oblige à baisser la tête, à courber le dos, mais qui ne peut m'avouer vaincue. Il ne peut m'empêcher de porter les yeux au-delà
d'un horizon inexistant mais que je sais être. Un horizon de pierre, vrai désert désertique, sans courbe, sans relief. Je tourne sur moi-même à la recherche d'un hypothétique point de repère … il n'y a rien. Rien que ce magma de roches, brunes et noires, à perte de vue. Les chameaux avancent lentement, cherchant leur passage dans ce paysage apocalypse. Sidi, le frère de Lella, tire sur la corde et leur montre le meilleur itinéraire. Lella et moi avançons plus vite, silencieusement, chacun perdu dans ses pensées. Le soleil voilé confère une atmosphère encore plus austère à ces lieux. Nous devons être les seuls à franchir ces étendues vertigineuses de platitude et d'infinitude. C'est la première fois que je suis confrontée à ce désert, non pas une parenthèse au milieu des dunes, mais l'implacable et inexorable désert de roches. Terrain où ne subsiste aucune vie … si … des scorpions noirs se fondant dans le sombre des lieux.
Je ne pose aucune question; j'ai appris à me taire et je ne sais combien de temps va durer cette traversée. Pierre après pierre, nous grignotons du terrain, mais l'horizon recule comme un mirage. Lella et Sidi savent où mènent les pas; moi, non. Je sens intuitivement que je vis quelque chose d'exceptionnel malgré cette marche oppressante. Je goûte à la dimension pierreuse d'un désert qui m'était inconnu, ou seulement perçu à petites doses. Là, je me sens étrangement à l'origine du monde, dans un enchevêtrement de caillasse et d'uniformité. Les chameliers savent m'offrir l'inattendu, des endroits hors des sentiers battus, où seuls résonnent nos pas. Ils connaissent mon exigence de solitude et mon besoin de différence.
Cette marche est difficile, non pas physiquement, mais psychologiquement. Elle requiert l'aptitude à transformer la lassitude du paysage en poésie, car « de l'ordinaire peut jaillir l'extraordinaire ».
Un premier bivouac au son du vent, sous la tente dressée qui m'enveloppe comme un cocon. Je me sens à l'abri de toutes les vicissitudes, perdue quelques part dans un no man's land, mon regard au creux du feu, écoutant la toile se plier sous les assauts du vent. Il fait bon s'endormir ainsi, sachant que rien ne peut m'atteindre.

lundi 8 juin 2009

Je marche avec mes amis pour m'oublier.
Mes pieds sont abîmés de trop de pierres, de sables, d'épines d'acacia, de soleil et de pas.
Je vais; sans mot, nous marchons. Muets, nous allons.
Nous savons la nuit étoilée, enfouie dans le sable, enfouie en nous.
Nous avançons vers l'adieu. Je marche encore pour oublier la démesure.
Les dunes nous offrent le réconfort de leurs poussières d'or et de lumière.

Ce soir, nous sommes dans la famille de Lella, heureux et fier de me présenter les siens, qu'il retrouve au gré de ses déplacements. Ses deux sœurs sont belles, élancées, pleines de grâce et de douceur. Les enfants courent et viennent à ma rencontre. Sa mère, sans âge, toute de noir vêtue, prépare le repas. Nous bavardons, nous rions. Je suis des leurs.
Grand vide en moi. Sable éteint. Mes yeux capturent les étoiles.
Je sais la fin du voyage.

A l'orée du jour, nos pas foulent de nouveau les pierres. J'accorde mes pas à ceux des chameliers, vers une autre vie. Mon dernier jour.
L'aurore est intacte. J'ai changé.

Une dernière fois, mes amis chantent le désert.
Leur empreinte est en moi. Ils sont diamant car ils portent l'éclat de la vraie vie en eux. Ils sont richesse car ils aiment simplement, donnent simplement, parce qu'ils sont paix.
Je quitte mon habit d'amour et de passion. Le chèche est devenu vent.
J'ai le goût du sable sur les lèvres.
Sourire pour nous réconforter.
Ils me savent nomade. Ils me savent désert.
Vie poésie. Ma vie rime avec le sable.

Je quitte le désert; je quitte mes amis. Je suis leur amie. Ils existent en moi, profondément. Ils continueront à me faire vivre dans chaque goutte de silence, dans chaque nuit étoilée.
Je découvre le besoin et le manque de mes amis pour communiquer avec ma vie.
Nos yeux sont la promesse de retrouvailles où nos pas nous entraîneront encore plus loin. Le temps n'existe pas dans le désert; je reviens déjà.
Les yeux volent les dernières dunes, les dernières pierres. Je suis solitude.

… Chinguetti …
Dans l'embrasure de la porte, djellaba bleue et chèche noir.
Leur regard en moi.
Ils ne sont plus.
Je suis silence, nourrie seulement de désert.
Regard en arrière; c'est mon seul passé.
Je me suis perdue dans le grand vent du désert.
Le désert pour me dessiner et m'inventer.
Le désert pour me chanter et m'aimer.
Le désert pour entendre mon silence.

L'auberge est calme; je suis la seule cliente. Je reste sur la terrasse à entendre les murmures de Chinguetti, à me perdre dans les souvenirs.
Nuit sans sommeil à l'écoute du désert qui se perd loin de moi. Les braises ont déserté la nuit; les étoiles sont mortes. Mes pensées sont nouées dans la mémoire du vent.
Je suis ailleurs, dans la galaxie des étoiles, dans la mouvance des dunes, dans l'errance du nomade.

… Aéroport … chaleur … foule …

Je suis de retour …
Les autres me diront si mon âme a changé.
Je leur dirai la solitude intérieure, le feu des yeux qui brûle pour le néant, le chant du corps quand il fait l'amour avec l'immensité.
Je leur dirai l'infini des dunes et leur sensualité, la douce caresse du vent sur la peau, la voix qui murmure la prière.
Je leur dirai les légendes et les mirages du sable, le regard du nomade et son langage du cœur.
Mes yeux parleront; ils sauront.
Je suis rentrée dans le monde. Il n'y a rien à la mesure de ma démesure.
J'ai froid.
J'erre dans la nuit étoilée.

lundi 1 juin 2009


Le désert m'engloutit. Plus de repères, si ce n'est la ronde du soleil.
Je ne sais plus le temps, le jour. Je sais le silence et le vide des pensées.
Je divague sur le murmure du vent.
Je suis morte, ensevelie de sable, écrasée de soleil et de solitude. Mes yeux veulent capter ce qui reste de ma vie d'avant … C'était quand ? Où ? La passion du désert m'étouffe mais je m'y noie jour après jour, pas après pas.
Je ne sais plus dire. Le langage du désert est seulement en moi.
Liberté et rien : je sais ces deux mots dans le grand vent du néant.
Je veux dire l'appel du désert. Mots … prison. Désert-prison.
Au creux de mon cœur, désert.
Bras de l'immensité pour me déserter.

Combien de temps pour oublier la force et la démesure du désert ?
Je veux rester, âme nomade, libre, sauvage.
J'entends le monde, la prière du nomade, sa prière.
Qu'importe la peau craquelée de trop de vent, le visage bouffi de trop de soleil, les pieds lourds du sable transporté; qu'importe mon corps; il vit, il respire.
Immensité éclatée.

Autour du feu, nous parlons doucement de l'amitié, de nos vies. Nous n'avons pas sommeil. Le vent souffle fort.
Nasser, bonnet de laine sur la tête qui le fait ressembler au « diable » du désert, nous offre sa prestation de musicien improvisé et de chanteur. Lella se prend au jeu et comme des gamins, ils animent une soirée kermesse offerte en mon honneur ! Fou-rire à l'écoute de leurs imitations et de leurs pitreries. Nous sommes redevenus des enfants qui nous amusons au milieu de la nuit.

Puis, quand tout s'éteint, que la lune disparaît, nous contemplons le ciel; regards plein de bonté; silence sur les lèvres muettes.
Au creux de la nuit, sentir le regard qui ne s'endort pas et poser la tête pour un instant d'éternité.
Pureté du ciel et éclat des yeux.
Immensité et douceur … désert miracle … désert sublime.
Nuit trop courte qui nous laisse inachevés.

Le jour se lève; le froid et le vent sont encore présents. Dans la caillasse, nous marchons. Sur les traces du vent, nous fuyons. Sur les traces du vent, nous sommes.
Un chamelier, ami de Lella, nous rejoint. Nous faisons la halte. Le vent chante fort. Pour protéger le feu, Lella soulève une grosse pierre où se niche un énorme scorpion qu'il … embroche ! Le repas a goût de sable qui craque sous les dents et nous nous protégeons tant bien que mal du vent.

Et puis, encore les pierres et ce vent qui courbe les corps. Mais tout est magnifiquement beau.
Perdus dans l'immensité caillouteuse, nous semblons irréels, les chèches flottant dans les bourrasques. La houle du vent est la seule musique du désert. C'est la plus belle.
Nous avançons, yeux baissés et plissés pour éviter les poussières lorsque des tourbillons imprévisibles nous contraignent à stopper et à détourner la tête. A quelques centimètres du sol, c'est la danse du vent et des grains de sable qui s'amplifient pour former une spirale s'élevant dans l'air devenu irrespirable. Je m'amuse à déceler ces formations de tourbillon et mon chèche est le meilleur rempart pour lutter contre elles et me protéger de ce grand vent.

Le dernier bivouac. Paix sur cette nuit.
J'ai dit la tendresse et le silence. Je vois le désert.
Je le contemple longuement dans la clarté de la lune, blottie en moi, immobile en moi, éprise du désert, amoureuse du désert. Je m'endors au creux de lui.

dimanche 31 mai 2009

Yeux lourds de sommeil. Magie des petits matins. La nuit est décapitée. La nuit fut froide et ventée. Je veux rester blottie en moi.
Le thé est servi.
Lella sourit; je veux me lever.
Aujourd'hui comme hier, et pourtant si différend. Le désert me modèle. Il me fait humble, silence. Il me fait sale au dehors mais propre à l'intérieur. Il me tanne la peau et pétrit le cœur. Il me couvre de poussière mais dénude l'âme. Il me fait prisonnière mais me rend la liberté. Il obscurcit les yeux mais éclaire l'intime.
Lella sourit; il m'attend.
J'existe dans son regard; ça fait du bien. Je vais vers lui pour le simple bonjour du matin. Je fais confiance au jour qui se lève, au désert, à mes amis.

Notre caravane se met en marche. Combien de pas depuis mon départ ? Combien de temps entre l'au-revoir et ce jour ?
Une autre journée à tenter de rejoindre un point, une halte pour nous reposer. Une autre journée égrenée au fil de l'attente, de rien, sans pensée, sans but.
Savoir et tout quitter. Je pars à la conquête de tant de chimères.
Je puise dans le désert la certitude de ma démarche. Il m'entraîne si loin.
Nous cherchons un puits. Dans le premier, l'eau stagne tout au fond et nous n'avons pas de corde suffisamment longue pour y accéder. Ils décident de continuer : un autre puits existe, pas très loin. Nous marchons deux heures avant de l'atteindre. Les nomades viennent remplir leurs outres portées par les ânes. Tandis que les uns tirent de l'eau, les autres font un peu de lessive et les enfants jouent avec des boules formées de sable et d'eau. Je partage leurs jeux et ils rient de me voir malhabile avec leur jouet improvisé. Ils me font de grands signes d'adieu longtemps après notre départ.

Autour des puits, c'est un village qui se reconstitue le temps d'échanger les nouvelles, de revoir les amis, et de s'entraider. Puiser l'eau est une tâche fatigante et tout le monde participe.
Les chameaux boivent longuement tandis que les hommes se relaient pour hisser l'eau et la déverser dans les jerricanes ou les outres. Les femmes et les enfants amarrent celles-ci sur le dos des ânes avant de repartir vers leur tente, en chantant et en riant.
Assise sur une pierre, je contemple cette vie simple, tranquille, à laquelle je suis venue m'abreuver.

Le feu du soir m'enveloppe. Les yeux de mes amis m'emprisonnent. J'ai la certitude d'être désert.
Je m'allonge, face aux étoiles. La voix de Lella s'élève, douce et sensuelle pour chanter le désert.
Il sait ma tête vide, la démesure du désert. Il me voit avec le regard du désert. Mes vêtements sont sans forme. Le néant est en moi; absence de moi. Je n'ai que la force de m'accorder avec moi-même. Le désert offre et donne au-delà des gestes, au-delà des mots. Le désert fait corps avec l'intime.
Corps fatigué de trop de pas; cœur fatigué de trop aimer. Je m'endors enfin, le désert veillant sur ma nuit.
Mon cœur bat la liberté. Combien de kilomètres aujourd'hui ? Vingt-cinq ? Trente ? Jusqu'au bout du jour, nous avançons. Nous cheminons côte à côte, solitaires dans notre silence. Nous nous devinons. Ils prennent soin de moi pour que jamais je n'oublie le désert. Je prends soin d'eux. Mes perceptions s'aiguisent, le désert à fleur de peau.

Nudité totale; je vis par le désert.
Mon corps a la couleur du désert; elle me va bien.
Mon corps a le rythme du désert. Pas à pas, j'avance au travers de lui seul. Doucement, je me dépouille. Mon regard fixe l'horizon où s'inscrit mon devenir. Mais il ne sait plus lire. Il n'est que sable. Il coule entre mes doigts. Il est ma réponse.
Je n'ai plus rien. J'ai tout quitté pour mordre au désert. J'ai tout laissé dans le désert. Le désert possède l'être. Je voudrais m'asseoir pour agencer mes pensées. Mais le désert veut que j'aille jusqu'au bout de moi-même.
Les yeux me font mal. Les ongles sont sales de cendre et de poussières. Les membres sont engourdis, les pieds meurtris, la peau desséchée.
Mais les pas sont liberté.
Aux lèvres perle de l'impalpable, je me nourris.
Dans la lumière, je vais. Dans l'éventail d'or, je vais.
Silhouette silencieuse gravissant dunes et plateaux; ombre marchant au milieu des pierres et des dunes.
Point minuscule dans le sable; fusion dans la tête … je fuis entre mes mains.
Onde de dunes sans espace, voyage éternité.
Magie des lieux qui pousse à l'oubli.
Âme vagabonde, arrête-toi. Parcelle de feu soleil, tu me consumes.
Le désert me possède, le silence du désert me brise.
Chèche accroché au vent, je suis femme de l'immensité.
Yeux sous le chèche, regard perdu.
Je vais, le chèche me protégeant de mon histoire.
Horizon sans fin, solitude totale.Je suis prisonnière de l'infini

mardi 26 mai 2009

Au matin naissant, nous quittons le campement et j'apprends à marcher dans la caillasse avec des tongs. Une longue journée à errer sur un plateau sans fin. Nos regards accrochent les pierres, bien au-delà de l'horizon. La même enjambée, souple, silencieuse, pour progresser dans le rien. De temps à autre, un mouvement de tête pour englober l'immensité, et de nouveau, les corps reprennent naturellement possession des éléments. Le plateau est vide de vie.
Des pierres brunes et noires à perte de vue sur lesquelles les pieds trébuchent parfois, quand les yeux se détachent pour un bref instant de leur trajectoire. Des débris sombres qui noient le regard dans la réverbération crue du soleil. Je vais, pensée éteinte.

Et soudain, un océan de dunes, ocre et or sous mes pieds. Un océan de lumière dans le soleil couchant. Je m'arrête, muette d'admiration. Je suis fascinée. Lella et Nasser me regardent. Ils m'offrent leur désert. Ils chantent; c'est féérique.
Nous nous engloutissons dans ces dunes, follement heureux.
Multiples dunes pour bercer notre amitié.
Nous escaladons ces poussières d'or … Je suis pieds nus; je sens le sable chaud, je sens la liberté, je sens la vie.
Je veux m'unir encore davantage au désert.
Ils sont désert.
Beauté irréelle. Pépites de lumière.
Nos yeux rient, nos yeux parlent, nos yeux vivent.

Ici, j'aime la lumière-soleil, et l'horizon et le sable.
Je veux être nomade pour ne courir que sur la liberté.
Aimer pour être libre. Le désert est mon attache. J'aime sa tendresse dépouillée.
Plus de repères, plus de limites, mes amis et moi suspendus aux courbes de l'infini.
Leur force paisible, leurs yeux rieurs, et leur beauté qui se marie à l'or des dunes.
Nous nous noyons dans le sable. Ils m'offrent le monde.
Comme des enfants, nous nous amusons à grimper et dévaler ces dunes dans lesquelles nous nous enfonçons jusqu'aux genoux.
Dans les filaments du soir, nous capturons la sensualité sauvage du désert et l'emprisonnons en nous.
Essoufflés de courir et de rire, nous nous taisons pour mieux boire le dépouillement et nous entendre.
Nous gravissons une autre dune, une autre crête …
Nous les parcourons l'une après l'autre, plongeant nos corps dans cet infini trésor, et dans l'infinie sérénité du désert.
Nous suivons la courbe du soleil mourant à l'horizon.
Nous avançons vers le crépuscule.
Nos pas attendent la nuit.
Soirée silence où nos cœurs se rejoignent au-delà des mots. Nous nous nourrissons de ces moments vécus avec force et les langues de feu sont autant de dunes qui se reflètent dans les yeux.
La nuit est douce.
Des mains qui prient et des doigts qui emprisonnent les étoiles.
Des regards qui caressent l'obscurité en quête d'émotions.
Prolonger la nuit dans le firmament des attentes; rêver d'impossible et fermer les yeux sur la nuit qui se meurt.

Le désert fait fuir la peur. Fragile, le désert me possède.
Bouche-mienne; empreinte dans le sable. Je suis amoureuse du désert.
Fragile, le désert me fait sienne.
Je m'endors près de moi; je m'endors au creux du désert.

Le vent balaie chaque pas. Je me retourne : il n'y a plus rien. Je n'existe plus dans le passé. Je n'existe que dans l'instant.
Nasser, Lella … mots muets. Ils lisent en moi. Je vis grâce à eux.
Ils savent le désert, le pouvoir du désert. Ils sont désert.
Amis-confiance. Je les suis aveuglément.

lundi 25 mai 2009

Je me perds au fil des jours. Près des chameliers, j'avance sous une chape de plomb.
Mes yeux accrochés aux leurs, je regarde le désert se dérouler devant moi, le monde, ma vie.
Mes pieds sont enflés, endoloris. Aucun pansement n'adhère sur les talons meurtris. Je mets un pied devant l'autre et ne pense plus. Seulement avancer. Les lèvres sont sèches, collées, muettes depuis quatre heures. De l'eau …
Qui suis-je pour marcher vers rien ? Qui suis-je pour rêver de silence, pour croire à l'absolu, pour espérer la démesure ? Qui suis-je ?
Pas-silence. Pensée-silence. Vide de l'esprit.
Tant de chemin à parcourir, de pierres et de dunes à lire, d'espace à déchiffrer pour seulement effleurer un semblant de réponse.
Dans cet espace, ma vie surgit, comme une muette interrogation, comme une ultime question.
Soleil aveuglant … la pensée se fait rare. Lèvres taries d'eau …
Les émotions se nouent et se dénouent, se confondent et disparaissent.

Le soleil est au zénith; c'est le moment du repas et du thé. Les premières gorgées sont autant de gouttes de pluie pour balayer la poussière de la bouche et se désaltérer. Le thé chaud est le meilleur des breuvages pour humecter les lèvres sèches et chasser la fatigue.

Lelle me regarde et sourit. Moment furtif de complicité. J'en oublie les pieds douloureux, la chaleur suffocante. Je m'allonge dans le sable, près de lui, tandis que Nasser se repose. Nos doigts dessinent les mots. Il rit; il est mon ami des sables. C'est une oasis à laquelle je m'abreuve, pleine de sérénité, d'humanité, de générosité. C'est un oued plein de fraîcheur, de gourmandises, de lumière et de vérité.

Confins des dunes … ma complexité, mon exigence.
Mon histoire est là, se déroulant au gré du soleil qui brûle, près de mes amis.
Au milieu du sable, ils sont symboles de l'accomplissement du désert : beauté et bonté. Ils suffisent à ma quête.

La sieste est finie : mettre de la distance entre l'horizon et l'infini.
Marcher encore et encore … je marche sur le clair-obscur de ma vie.
Le soleil se déploie et s'enfonce. Dans cette immensité sauvage, les fissures de la vie se colmatent car le désert dessine l'amour.
Quand les feux du soleil se meurent et que Lella cherche du bois, je sais que le campement est proche. C'est un moment privilégié de paisible quiétude dans la fraîcheur du soir. Le corps frissonne au moment de la toilette succincte pour faire place rapidement au bien-être.
Je m'assieds auprès des braises qui me réchauffent. Le thé est le bienvenu. Je contemple le feu, je m'imprègne du silence, et je regarde la préparation de la galette. Je me laisse envahir par la douceur du bivouac, attendant l'émergence de la lune et des étoiles.
Je noue mes bras autour des genoux et mes yeux divaguent sur la danse des flammes. Les bûches craquent, les étincelles crépitent et parfois le regard de Lella accroche le mien au cœur du feu. Nous savourons ces minutes silencieuses où la fatigue se fait lourde pour disparaître dans le cocon de la nuit.

Chaque matin est une bénédiction, mais ce matin, mon pied souffre atrocement. La chaleur est déjà là, bien présente.
Cette nuit fut douce, à l'écoute du ciel et du monde.
Les nomades savent les nuits sans sommeil, l'engourdissement du corps quand les yeux n'en peuvent plus de contempler les étoiles.
Je puise dans ces moments uniques d'harmonie, vécus avec intensité, le courage de repartir malgré la douleur.
Presque quatre heures de marche au milieu de rien; juste un peu d'ombre squelettique sous un acacia pour la halte et se désaltérer.
Je ne pense plus; je marche à côté d'eux, ivre de pas, de sable et de soleil.
Que suis-je venue chercher ? Mon histoire ? Ils me la content à chaque regard, chaque bivouac quand nos doigts dessinent sur le sable les mots de la vie. Que suis-je venue découvrir ? Moi ? Ils me le disent à chaque crépuscule, me montrant le ciel et sa lecture. Que suis-je venue reconquérir ? La paix ? Ils sont symboles de paix. Ils marchent, sourient, respirent, évoluent avec paix.

Désert-paix.
Pieds énormes et plaies à vif.
Ce soir, nous sommes dans un campement où plusieurs familles se partagent des tentes marron ou blanche, disséminées dans le sable. Je peux me procurer une paire de tongs. J'abandonne mes chaussures de marche, sachant dorénavant que rien ne vaut des sandales.
Nous achetons également un chevreau qui améliore notre quotidien, constitué jusqu'à présent de pâtes et de galette. Après le rituel du thé, des dattes et des cacahuètes, nous dînons tard avec les membres de la famille, sous la voûte céleste, autour d'un feu qui éclaire les visages.
Existence-silence.

Ma nuit est solitaire, éloignée de la tente des nomades. Le mystère de la nuit plane au-dessus de moi. Je suis assise dans mon duvet, interrogeant la lune et les myriades d'étoiles. A l'encre du sable, j'écris les pages de mon vécu. Mais les mots ne peuvent traduire toutes les émotions. Alors je range le stylo pour mieux contempler l'absolu. Longtemps, j'écoute les messages du désert. Longtemps, je garde les yeux ouverts sur le ciel inondant de ses astres scintillants le village des nomades.
La toile brune de la tente se confond avec le sable. Parfois, le bêlement d'un chevreau troue la nuit. Parfois, des murmures de voix parviennent jusqu'à moi. Puis un silence total envahit le campement, instant où tout bascule dans le sommeil. J'épie le moindre bruit qui n'existe pas. J'entends le désert.

Aux premières clartés de l'aube, Lella, après la prière, vient me convier pour le petit déjeuner.
C'est vendredi, jour du prophète Mahomed, jour de repos. Les visites affluent de chaque coin du désert et nous buvons du thé, accompagné d'arachides, allongés sur les couvertures, un coussin glissé sous le bras. Au crépuscule, les membres engourdis d'être restée étendue (!), je m'isole en m'éloignant du campement, pour marcher un peu et surtout admirer le coucher du soleil tandis que les troupeaux rentrent et que les chameaux se découpent au loin, sur les crêtes des dunes.
Tout est serein, je perds la notion de tout ce qui n'est pas la vie d'ici.
Le désert me grignote peu à peu.

dimanche 24 mai 2009

Je suis debout, à l'aube, le sac prêt, impatiente de quitter Chinguetti.
Enfin, Lella est là, dans l'embrasure de la porte, djellaba blanche et chèche noir. Il est superbe. Je suis fière d'être son amie. Nos yeux sont en attente du partir. Nous savons notre route. Nous la poursuivons dans le respect mutuel de notre amitié.

Nasser, l'aubergiste, nous accompagne. Ayant fait des études de géographie à Nouakchott, il s'exprime parfaitement en français. Son accoutrement me fait sourire : une veste de laine sur sa djellaba et des chaussettes trouées pour mieux enfiler les tongs !
Nous avons sympathisé la veille, lors de mon arrivée, et sa demande de nous accompagner consiste à être l'interprète.
Les chameaux sont prêts, chargés de soixante litres d'eau, de nourriture et de couvertures.

Au milieu des dunes, nous avançons. Le soleil est boule de feu au-dessus de la tête.
Je marche, respirant à chaque pas la vraie liberté, celle qui me rattache à moi-même, celle que je dédie au monde. Le paysage est splendide. Sur le chemin de l'inconnu, les formes ouvragées par le vent prennent vie en une cascade de dunes et de contrastes.
Malgré les rayons ardents du soleil et la soif qui dessèche les lèvres, je suis pleinement. La palette des ocres m'invite au rêve. Nous marchons rapidement, nous enfonçant dans ce sable que je suis venue reconquérir comme une nécessité. Ces mois ont été une pensée constante vers ce minéral, comme un appel inéluctable.
Sous le soleil aveuglant, je redécouvre la beauté désertique, le plaisir d'avancer vers le rien, et la fusion silencieuse avec mes amis.
Une première journée, telle que je l'avais rêvée, belle, simple et harmonieuse.

Au milieu du sable, le campement est dressé. Le soleil devient braise vacillante. Le feu crépite pour un simple repas, pour un bien-être après l'effort. Dans la nuit étoilée, je pars récupérer les chameaux avec Lella. Nous sommes au-delà du temps. La voûte du ciel est complice de notre liberté. Les dunes nous encerclent et nous communions dans la douce nuit qui marche.
Sous les astres qui scintillent, je me rejoins doucement pour ne pas troubler la paix du désert. Je m'endors, sereine, contre le chaud des sables.

Le soleil rougeoît à l'horizon. Lella et Nasser prient. Le petit déjeuner est silencieux, autour du thé et de la galette. Tandis que Lella cherche les chameaux, Nasser et moi effaçons toute trace du campement. Le bois à demi-calciné est rangé consciencieusement. Il est précieux car rare. Il servira à d'autres nomades de passage dans ce coin isolé. La fraîcheur matinale s'estompe rapidement pour faire place à une chaleur torride. Pas une miette de vent pour rafraîchir les visages cachés sous le chèche. Pas une once d'air pur pour ponctuer la marche. La lumière vive et impénétrable du soleil est comme une aile immense sur cette terre chaude et sableuse.
Il me faut seulement doser la respiration, me concentrer sur le rythme, sur l'horizon. Je me noie dans une splendide mer de dunes et je suis écrasée de soleil. J'ai soif, avec cette sensation que rien ne pourra jamais me désaltérer. Quelques gouttes de salive humectent mes lèvres desséchées. Tout est immensément brûlant.
Je marche dans la fournaise.
Le temps s'estompe. Mes points de repère se brouillent. Je redeviens nomade, seule avec moi-même. Les heures passent sans moi. Mes pas m'entraînent encore un peu plus loin dans l'oubli, chaque dune franchie me séparant de moi-même.
Courte halte pour boire. Yeux fermés, l'eau coule en moi.
Je rêve de cascade …

Mes pieds souffrent, une grosse ampoule entame le talon droit.
Et le soleil comme un brasier au milieu des dunes qui s'effacent pour faire place au reg.
Du sable et des pierres pour seul horizon.
Le regard de Lella et Nasser pour seul repère.

A la tombée du jour, le chèche devient écharpe. Les gouttes de sueur sèchent et je ressens la douce tiédeur du soir. Notre campement est sommaire mais il me convient bien : le sable sous le corps, la caresse du feu sur les joues et la caresse du vent dans les cheveux.
J'ai oublié d'où je viens; je redécouvre qui je suis. Ce que je suis : une errance dans le temps, en quête de vérité. Elle est entre mes doigts. Tourbillon de tendresse et de promesse.

L'arrivée d'un nomade, surgi de nulle part, me tire de mes songes. Il partage notre repas et nous invite à boire le lait de chamelle et le thé. Dans la nuit aux étoiles filantes, nous marchons vers la tente où sa famille nous accueille avec gentillesse. Grande discussion sur Dieu et ses insondables mystères.
Le retour est gai. Je n'ai pas sommeil.

Etoiles-lumière … les cieux épousent le sable, mon corps niché en eux. Multiples étreintes à ce corps inassouvi, à ces yeux pleins de rêves.
Je me couche contre mes flancs, ma bouche gardant le goût du sable.
Je me détache de tout, comme une nécessité absolue.
Vent muet. Silence du ciel. Parenthèses dans une vie qui se referme.
Sable-vérité. Ma vie se déroule dans ma mémoire.
Je suis seule. Seul désert-confiance.

samedi 23 mai 2009

COMME UN APPEL


Voici mes dernières heures à préparer le sac, à serrer un cordon, et je suis déjà en partance pour l'ailleurs.
Tout ce temps à espérer un autre départ, à compter les mois qui me rapprochent du rêve, à écrire les mots des dunes, à entendre les légendes du désert.
Toutes ces semaines d'impatience contenue, où les pieds trépignent de marcher, où le corps se love dans le silence du néant.

Je quitte pour un instant ma vie d'ici, et dans mes bagages-souvenirs, il n'y a rien. Je connais le poids du désert et l'oubli.
Il ne m'est pas difficile de partir; il me sera difficile de revenir.
Je vais être absence. Le temps me dira …
Je suis encore là, aux portes de l'au-revoir, mais les yeux flirtent déjà avec le désert et ses bruits épars.
Je suis encore là, pour quelques heures, mais l'autre monde m'a déjà happée.
Je n'existe plus que pour l'instant où je foulerai le sol mauritanien.
Dans le calme de mes pensées, l'infini omniprésent. Dans cet avion qui m'éloigne de ma vie, je renais à autre histoire, celle que j'ai laissée en suspens à Chinguetti, il y a quelques mois.
Le désert s'étire sous les ailes de l'avion. Ces vastes étendues qui se profilent sous moi sont le prélude à d'imminentes retrouvailles.

Atar … aéroport … chaleur …
Je suis seule pour capter l'émotion, pour appréhender mon retour.
J'emprunte un taxi brousse pour rejoindre Chinguetti.
Les narines reniflent l'odeur du sable. La piste est là, devant moi, caillouteuse et poussiéreuse. Chinguetti est proche …
Je redeviens nomade, libre de tout et de tous.
La sérénité fait place à la hâte du partir. Je suis enfin arrivée, mais il me faut encore patienter un peu avant de goûter définitivement au plaisir d'être revenue.
Chaque tour de roue est un morceau de route qui s'éteint.
Chaque tour de roue est un ruban qui se dénoue pour me lier au sable.
Les cheveux au vent, je ne suis plus pressée.
Autour du cou, le chèche, symbole du désert.

Installée à l'auberge, j'attends patiemment et calmement, un verre de thé à la main, le moment de me noyer dans les dunes.
A à la tombée du jour, Nemed franchit la porte de l'auberge, tout joyeux de me revoir.
En sa compagnie, mes pas m'emmènent chez Lella. Je sais qu'il m'attend. Il sait que je suis là.

Je marche vite dans le sable, comme un impérieux besoin. Dans la lueur des braises, il est. Dans la lumière du feu, nous nous réapprivoisons.
Son regard est toujours au-delà du temps, sombre et mystérieux. Je ressens un grand chaud en moi qui murmure le plaisir profond de retrouver tous mes amis.
Nos yeux parlent le même langage, celui qui nous lie à un bout de sable, celui de notre rencontre.
Je suis assise autour du feu et la magie opère.
Même ciel étoilé, mêmes odeurs. Tout est intact. Lella nous offre le thé et le repas. Je suis chez moi.
Douceur des retrouvailles.
Je suis heureuse, d'être là, tout simplement, assise dans le sable, autour du feu qui chante mon retour.
Je m'imprègne d'eux, suspendue à leurs lèvres d'où coulent leurs mots, sereins et doux. Nous savions que le temps n'existait pas.
Nous partageons, dans le silence de nos regards, toutes nos pensées, toutes nos espérances.
Nous nous éloignons du campement, pour nous redécouvrir. Nos pas nous portent vers les dunes toutes proches, vers notre passé. Nous cheminons côte à côte, attendant que l'autre vienne briser le silence.
Et puis, tout à coup, le besoin de dire, ensemble, comme une fulgurance.
Les mots se bousculent malgré nos différences de langue. Les mains renouent avec les gestes, les yeux s'accrochent pour se comprendre, les souvenirs ressurgissent, les rires fusent.
Tout est aboli.

Nous parcourons ensemble l'absence;
Nous regardons le ciel que nous avons si souvent admiré, et d'un geste large, Lella me montre le désert, son désert.
Nemed opine de la tête, silencieusement. Ils m'enveloppent des yeux au milieu des dunes, sous la lune qui sourit.
Leur regard de braise plonge en moi. Ils veulent me dire … Je sais qu'ils n'ont rien oublié. Ils savent que je n'ai rien oublié.

Assis dans le sable, nous parcourons nos vies, avides de savoir, curieux de l'autre, avec nos mots, mi-français, mi-hassaniya. Nos yeux parlent fort; ils sont notre miroir.
Nos retrouvailles ont le goût de la nuit, mystérieuse, humaine, profonde et complice.

Devant la porte de l'auberge, ils disparaissent silencieusement. Je n'entends que le bruissement de leur djellaba s'évanouissant dans la nuit.

Tout est bien. Les étoiles sont les messagères de mes pensées.
Elles voguent tout là-bas, où je sais trouver la démesure. Elles coulent comme le miel, libres d'exister, sans limites et sans interdits.
Par la porte ouverte sur la nuit, je m'évade sur le chemin des astres.
Je sais mes amis proches. Tout ce temps séparés aurait pu nous transformés. Il n'en est rien. Au contraire, tout est encore plus dense et plus plein.
Longtemps, je garde les yeux ouverts sur cette plénitude qui me berce pour ma première nuit
.
Au rythme lent du désert, Chinguetti s'éveille.
Au bord de l'aurore, douce somnolence.
Demain, je m'enfoncerai avec Lella dans l'or des dunes.
Avant que le bruit ne prenne possession de la ville, je redécouvre les ruelles ensablées qui me portent vers les échoppes et les thés brûlants.
Errer sans but, sans précipitation pour apprendre à vivre.
Devant moi, le sable, comme un accomplissement.

Des visages connus, rencontrés il y a quelques mois, me sourient et m'invitent à partager le thé. Celui des bijoutiers installés à même le sol; celui des marchandes qui me reçoivent dans leur boutique, sans poser de questions.
Et Mouhamed, jeune étudiant, beau et enjoué, tout heureux de parler français, auprès de qui les heures s'écoulent, tranquilles et riches d'échanges. Il m'invite à la soirée « tam-tam ».

Les rues de Chinguetti résonnent de cette musique, comme un appel à la joie et au rire. La foule se presse autour des tambours. Les corps accompagnent la musique dans l'obscur de la nuit. Les silhouettes drapées de voiles aériens des femmes et les djellabas bleues des hommes, chèche noir sur leur regard de braise, rythment de leurs mains et voix cette mélopée traditionnelle.
Soirée pleine de sons et de sensualité.
La foule grossit, danse, chante. La cadence des tambours s'accélère. Les hanches se déchaînent. Je suis au centre de la musique, lancinante, irréelle, qui m'emplit toute.
Quand les sons s'éteignent, il reste la marche dans le sable pour rejoindre l'auberge et la complicité d'un moment de musique, de danse et de rire. Avant de m'endormir, le tam-tam continue à me hanter, comme un leitmotiv pour me chanter le désert.

dimanche 29 mars 2009

Aujourd’hui, quatre heures de piste et arrivée sur la superbe plage de Tafarit. La bordure occidentale du Sahara se caractérise par une côte quasi inhabitée, de sable, d’eau et de plages vierges, de cinq cent kilomètres de long. Le vent de sable fait son apparition, mais les paysages sont toujours empreints de grandeur et d’infini.
Je pars me promener le long de la plage, enfin seule, pour me ressourcer. Je respire à pleins poumons cette odeur d’iode pour me purifier, pour me retrouver.
En moi, intacte la nostalgie des jours précédents. Je dois me réveiller doucement pour naître à une autre perception. Le désert est le même, et pourtant ...
Je ferme les yeux pour atteindre à cette autre dimension, celle que je palpais vers Chinguetti. Ce désert là me manque.
Ici, une autre approche, une autre écoute, celle des vagues et du ressac. C’est captivant et serein. Le bien-être prend enfin possession de moi lorsque le jour se meurt et que la nuit s’annonce velours.
Ce soir là, je discute longuement avec Aïssa, en quête lui aussi de sa Légende personnelle. Tout coule simplement puisque nous nous comprenons.
Ce voyage est source de rencontres.
Elles sont symbole de partage, d’émotions, de silences pleins de mots, de perception d’immensité et d’infini.
Mes rencontres ont le goût du sable et des étoiles et sont le ferment du « mieux » en moi. Dans les racines de mon intime, je perçois la source pleine de joie et de sérénité que je cueille à chaque instant. Tout est silence, et ma tête et mon cœur sont silence.
Le duvet est le bienvenu, mais comme les autres soirs, le sommeil me fuit … peut-être le thé !
Le banc d’Arguin, tristement célèbre depuis le naufrage de la Méduse, est une immense étendue où la terre et la mer se mêlent étroitement.
Le littoral est peuplé par des tribus de pêcheurs : les Imragen, seules tribus maures de race noire. Ils ont conservé leurs traditions et leurs méthodes de pêche. Cette région est un véritable paradis pour les poissons qui y pullulent, comme le mulet ou la courbine.

Les villages, adossés à l’immense étendue désertique du Sahara, sont tournés vers la mer dont ils dépendent complètement.
Quand le désert sec et brûlant, aride et sans végétation, vient plonger dans l’océan Atlantique, la rencontre de ces deux immensités crée une zone où la vie sauvage explose à l’abri des dégradations de l’homme.
Le sol est tapissé de nids de sternes et de hérons cendrés, tandis que les aigrettes occupent les quelques rares buissons. Les cormorans colonisent les falaises.
Nous sommes dans le village d’Iwick. Les pêcheurs apprêtent le bateau, la lanche, dans laquelle nous devons nous hisser après avoir pris un bon bain de pieds ! Les lanches ont été introduites au siècle dernier par les Canariens venus y pêcher la courbine. Elles sont bien adaptées à ces régions de hauts fonds. Nous filons à vive allure vers ces îles qui émergent de l’océan. Le temps est frais et le vent se lève. Les oiseaux nous boudent et ne sont pas au rendez-vous.
C’est une belle journée, emplie d’odeurs de mer, de vent et d’imprévu. Les pêcheurs, comme les chameliers, chantent et bercent. Je découvre l’osmose mer-désert. Je savoure chaque instant : regarder l’envol d’un oiseau, surprendre un chacal en chasse, attendre la sortie des crabes … Jouissance des sens qui pousse à l’acceptation de ce trop-plein de bien-être pour l’intégrer et en faire le levain d’une énergie nouvelle.

A Teychat, un chant doux et discret me contemple. J’en écoute chaque note, chaque son. La mélopée est gaie et empreinte d’un leitmotiv sensuel. Le désert et l’océan font appel à cette sensualité, à ce toucher corporel, uni étroitement à cette liberté d’âme . La vérité est peut-être nichée, là, au cœur du désert, au creux des vagues, au cœur de ces hommes qui élèvent leur voix vers le Divin. Ici, le doute n’est pas permis. Ici, nous touchons à l’Essentiel.

Le lendemain nous fait découvrir la fabrication d’une lanche à Memghar, avec un jeune charpentier, amoureux de son travail et oeuvrant sans plan ! Et malgré un fort vent de sable, nous partons à la recherche des oiseaux le long de la plage.
Tout se marie à l’infini. Tout est si intemporel.
Devant moi, les bancs de sable se meuvent dans l’eau, et les vagues sont douces, ne menant nulle part. Le soleil essaie de percer ce vent de sable et parfois, il brille avec force. L’eau chatoie alors avant de retrouver sa couleur originelle. La nature est existence et envahit l’Etre.
… Le manque de la solitude du désert …
Dans le calme qui contient les bruits du désert, surgit en moi une force intérieure me montrant la fugitive éternité du devenir.
Ma vie s’invente d’elle-même, hors du temps.

Aïssa, cherchant sa Légende, m’ouvre également les portes des interrogations inhérentes à la vie. Ses questions interpellent.
Dans ce désert, il avance en quête du fil d’argent, celui de la vie. Les mots remplacent les regards, mais ils sont porteurs de richesse réciproque, de complicité, d’entente philosophique et spirituelle.
Avec Aïssa, je chemine sur la route du langage, des fuites dans les non-dits, des empreintes de vie en suspension, des errements de l’âme et des soirs sans sommeil.
A l’orée de la nuit, nous écoutons l’autre dans l’imperceptible mouvement du corps qui ne s’endort pas.
A l’écoute du vent, nous éprouvons le besoin de chuchoter pour nous sentir plus proches dans nos attentes.
Assis au bord de l’eau ou au milieu du sable, nous devisons, certains de trouver en ces lieux sereins les réponses à nos questions.
Il se réconcilie avec lui ; je me réconcilie avec moi.
Nous portons le même regard sur les choses de la vie, sur le quotidien qui nous empêche de palper la vraie liberté, celle de la rupture.
Qui osera un jour tourner le dos à ce quotidien pour s’envoler sur les dunes de la liberté intérieure ?
Qui osera un jour être prisonnier de ses désirs pour être libre de sa vie ?
Nous savons les mots ; nous savons les transcrire … mais savons-nous les vivre ?

De ta terre d’Algérie aux confins du désert, aux abords des océans, tu marches et navigues, laissant derrière toi les effluves de tes rêves.
Des dunes de Mauritanie aux dunes de Jordanie, tes désirs ont pour nom accomplissement, compréhension et amour.
Puisses-tu garder en ton cœur les leçons du désert, les signes du désert qui jalonnent chaque démarche, l’éclat du soleil sur ton devenir, le scintillement des étoiles sur tes attentes.
Puisses-tu ne jamais te lasser de tes rêves.
Puis-je ne jamais me lasser de mes rêves.

En direction de Nouakchott, nous marchons sur la plage.
La mer est paisible et le sable doux. L’eau s’éveille sous les premiers rayons de soleil. Elle s’habille de couleurs mordorées et se meurt doucement dans les abîmes de l’océan. Nos pas laissent les empreintes du temps qui passe, de nos heures sereines autour du feu, de nos soirées à palper les cieux étoilés, et de nos rires aussi, libérateurs et enfantins.
Mais bientôt, profitant de la marée basse, la plage devient route pour camions et véhicules en tout genre. Les 4x4 nous récupèrent et nous filons sur ce sable qui se dilue dans la mer qui disparaît à l’horizon.
Nouakchott, capitale et port de pêche important nous reçoit avec ses rues animées et colorées. Les marchands nous accostent. Difficile de replonger dans le monde où plus rien n’est silence.
L’arrivée de dizaines de bateaux de pêche et leurs cargaisons de poissons offrent un spectacle insolite et attrayant. Bousculades, odeurs de beignets frits, ânes qui se fraient difficilement un passage au milieu de la foule, cirés jaunes des pêcheurs qui courent, portant cagettes lourdement chargées de poissons frais et dégoulinant d’eau, femmes en boubous colorés buvant le thé à la menthe à même le sol, enfants courant de-çi, de-là, et cacophonie de mots et de cris.

Ma dernière balade avec Aïssa dans les rues bruyantes et chaudes de Nouakchott nous fait prendre conscience de notre décalage, de notre mal-aise au milieu de cette foule. Nous rentrons à l’auberge.
Ma dernière nuit sera comme nombre de nuits, sans sommeil … à cause d’un moustique qui me taquine sans relâche, et parce que nous savons que le mot « fin » est écrit.
Nous respirons le même air et étouffons dans notre hutte.
Nous nous glissons dans les ultimes mots que nous murmurons.
Dans le sombre de la nuit, les yeux grands ouverts, nous devinons l’autre.
J’ai envie de poser ma tête au cœur de sa légende.
J’ai envie de taire ma pensée au creux de ses non-dits.
Il écoute ma fuite ; il écoute le vent ; et m’offre le réconfort avec des mots qui sentent la liberté.
Lui aussi a lu dans le livre du désert …
Lui aussi a déchiffré les symboles du désert …
Lui aussi a cherché sa route … L’a-t-il trouvée ? L’ai-je trouvée ?

Me voici revenue à mon point de départ … mais suis-je identique ?
N'ai-je pas aboli la pensée pour adhérer à mes désirs ?
N'ai-je pas changé mon regard ?
N'ai-je pas cueilli la source du renouveau ?
Ne suis-je pas devenue désert ?

Atar …

L'avion est là, tel un grand oiseau qui va m'emporter chez moi.
Ses ailes déployées sont déjà en partance pour l'autre monde.

… Je reviens d'un ailleurs qui me colle à la peau, qui parle à mon coeur, qui ne comprend pas ce que je fais là, en attente de quoi ?
Je reviens de nulle part, d'un désert d'émotions et de désirs, qui ne sait pas ce que je fais là, en attente de quoi ?
Je reviens d'une terre de feu et de passion, qui ne perçoit pas ce que j'attends là.

Je viens du crépuscule et de la lumière. Je viens du sable et des pierres. Je viens du vent et du silence. Je viens des vagues et des ressacs.
J'ai offert mon corps au vent de sable. J'ai bu à la tendresse de la nuit étoilée. J'ai banni le temps. Je me suis habillée d'or et de liberté et suis devenue désert.
Solitude heureuse où mon corps se donnait au soleil et au sable.

Mais le temps est impatient …
Il me faut abandonner cette terre et ses racines.
Il me faut abandonner cet ailleurs dans lequel je me suis trouvée.
Je me suis dépouillée de tout pour ne pas me faner.
Les étoiles à portée de tous les espoirs, je me suis nourrie de regards et de vent.

Mais le temps presse …
Je suis sur les ailes de l'oiseau.
Il m'emmène là où je ne veux pas aller.
Et pourtant, je rentre chez moi …

Où est-il ce « chez-moi » ? Est-ce le pays de nulle part, ou celui des contraintes, des limites et des rêves étouffés ?
Suis-je « chez-moi », au pays du sable et des étoiles et du néant, ou est-ce celui du bruit, de l'incompréhension et des leurres ?
J'ai vu les regards de ceux qui ne se posent qu'avec passion, avec une once de douceur inquiète, quelque chose qui viendrait de la solitude sauvage et qui trouble.
Je me suis brûlée aux yeux de braise qui voient dans la nuit.
J'ai bu à la solitude des nomades qui marchent vers leur secret.
J'ai effacé l'ombre de ma vie aux confins du désert.
J'ai goûté à l'intimité silencieuse des nuits aux étoiles filantes et aux aurores fraîches.
J'ai senti le vent balayer les pensées de mon fragile destin.

J'ai accepté la solitude pour ne pas abîmer l'âme.
Avec une intensité rare, j'ai mordu à la découverte désirée et désirante du désert.
J'étais « chez-moi »; je suis « chez-moi ».

L'oiseau se pose …
La vie peut être prison. Elle a la couleur de l'absence, semblable à une longue journée sans soleil.
La vie peut être liberté. Elle a la couleur du désert, semblable à la lumière des dunes.

On n'oublie pas le désert.

Je n'oublie rien.
Je suis rentrée.

… Je suis là-bas …



« Nul ne peut, après avoir mené cette existence, demeurer tel qu'il était avant.
Il sera désormais marqué par le désert et
portera en lui l'empreinte de la vie nomade ».

dimanche 22 mars 2009

A l'approche de Chinguetti, mon coeur se serre.
Chinguetti se meurt sous les dunes. Malade du désert, elle se bat pour vivre, balayant chaque jour ces vagues de sable qui la submergent. Chinguetti est belle; Chinguetti resplendit. Chinguetti résonne de vie … mais le bruit m'agresse.

Mon rêve se termine. Je me sens perdue.
Nous voici arrivés à la fin de notre voyage, de notre rencontre.
Nous nous disons « au-revoir » des yeux, le chèche cachant les stries de l'âme.
Nous nous retournons une dernière fois sur le chemin de notre désert et notre regard enveloppe l'immensité.
Nous portons les doigts aux lèvres pour murmurer « choukran » puis sur notre coeur, emprisonnant à jamais nos souvenirs.
Silencieusement, nous accrochons nos yeux au-delà du temps.
Doucement, nous plongeons l'un dans l'autre pour nous noyer dans notre rêve.
L'un près de l'autre, nous écoutons la nostalgie nous envahir.
Du bout des doigts, je caresse l'aurore.
Du bout des lèvres, je caresse le désert.
Du bout du coeur, je caresse l'absence.

Qui le premier détourne le regard pour disparaître au creux de l'autre ?
Qui le premier se détourne pour l'adieu ?
Dans le respect profond de l'autre, nos coeurs s'unissent en une dernière prière, jurant silencieusement de ne jamais rien oublier.
Tout est inscrit dans la mémoire de l'âme.
Cadeau unique au milieu du sable, au milieu de nulle part.

Seule dans ma chambre, la nuit est longue. Mes amis me manquent, le désert me manque.
J'étouffe … j'ai envie de partir, de fuir. Je sors contempler le ciel, mais les étoiles ont cessé de briller. Je me sens prisonnière après avoir bu le calice de la liberté. Je suis désert … je suis devenue nomade.

Le désert est miracle … les 4x4 nous ont oubliés.

Des bribes de temps sous les étoiles, et nos pas reprennent le chemin des dunes.
Nos mots sont muets.
Marcher pour renouer avec la vie; marcher pour nous retrouver; marcher pour nous oublier.
Et s'arrêter, regarder longuement le miroir qui retient les visages, ellipse magique d'un instant.
Et sentir un goût de sable, un goût de vent, un goût d'ailleurs, déposé doucement, comme une prière sur l'infini du désert.
Un morceau de ciel pour nous envelopper.
Un morceau d'immensité pour étendre l'ombre de notre liberté.
Nos yeux s'accrochent et vont mourir dans l'adieu.
Mouvance des lumières dans la cage des pensées.

… Gouttes de pluie dans le désert …
Leur djellaba bleue disparaît, telle une oasis dans ma vie.
Leur chèche noir disparaît, tel un mirage dans mon âme.
… Ils ne se retournent pas …


Chinguetti s’éloigne ; devant moi, les pistes qui m’emportent loin de mon rêve. Un dernier regard sur ce qui fut, ne sachant pas quand je reviendrai.

Nous partons en 4x4 pour Choum et son train de deux kilomètres de long, le plus grand train du monde, locomotives et wagons compris. Il transporte du minerai de fer de Zouerate, en plein cœur du désert, à Nouadhibou, sur l’Atlantique. Je fais connaissance d’Aïssa, mon nouveau guide, qui a pour mission de me faire découvrir le Banc d’Arguin. Embarquement sauvage par les portes et fenêtres ! c’est irréaliste !

Douze heures dans ce train de nuit pour rejoindre Nouadhibou. Un unique wagon-voyageurs (quel grand mot !) avec six couchettes et des toilettes plus que rudimentaires pour recevoir quelques touristes. Un trou dans le plancher et une forte odeur d’urine qui vous prend à la gorge !! Pas d’électricité. Nuit noire assurée. Nous pique-niquons de pain et de sardines à la lueur des frontales et nous installons pour la nuit : ce sera par terre. Tout semble irréel. Le train troue l’obscurité. La fatigue se fait lourde mais impossible de dormir. Par trois fois, un long freinage et on a l’impression que tous les wagons sont s’empiler. Impossible de déceler ce qui se passe : ils doivent décharger des marchandises ou peut-être des mauritaniens qui font ce long trajet dans les wagons à minerai. Pour eux, c’est un voyage gratuit mais exténuant. Le wagon est poussiéreux, portes et fenêtres bouchées par l’amoncellement de particules diverses. Le chèche est indispensable pour tenter de respirer correctement. Je converse avec Aïssa. Cette nuit est surprenante, imprévisible dans ce train. L’arrivée est encore plus irréaliste dans le froid de Nouadhibou … débarquement de tous ces mauritaniens, pétrifiés par la nuit glaciale qu’ils ont passée accroupis dans le wagon de minerai, accompagnés de chèvres, de marchandises, de sacs … Pour nous, un taxi qui nous emmène à l’hôtel où une douche chaude est enfin la bienvenue.

Puis nous partons pour le Cap Blanc à la recherche du phoque moine. Mais l’océan garde son mystère ; de phoque, point.
Falaises et plage se marient dans le vent et le sable.
Balade tranquille et soirée à discuter avec Aïssa. La nuit est courte ; à cinq heures, le muezzin chante. Le jour commence.

vendredi 13 mars 2009

La voûte du ciel scintille de millions d’étoiles. C’est une invitation au voyage …
Avec Schbih, je pars à la recherche de Nemed et Lella dont on aperçoit par intermittence les lumières au loin. Le désert est un mirage, car il nous faut marcher longtemps avant de les rejoindre. Les dunes se succèdent et les pas foulent l’ombre des empreintes, jouant à cache-cache. Le bonheur d’être ensemble dans la nuit est un moment unique de joie profonde, transcendé par leur chant dont l’écho se répercute à l’infini. Le retour est lent, empreint de rires et de tendresse. Marcher la nuit, sans frontale, est une expérience profonde de plénitude et de liberté totale. S’unir à l’obscurité et la faire sienne, sentir le sable couler sous la semelle, et ouvrir grand les yeux pour appréhender chaque contour et capter la magie du désir … ça, c’est sublime.
Nuit de partage et de murmures. Nuit que je lis et relis, celle qui me relie au monde, celle qui me relie à moi-même, celle qui nous relie.
Nuit, cordon ombilical relié à la nuit des temps.
Nuit, ventre attente et ventre naissance.
Dans le ventre de la nuit, douce harmonie des sens qui palpitent au son de l’infini.
A l’orée du miroir, aller en soi-même et ne rencontrer personne dans la solitude toujours plus intense et plus profonde. A l’orée de l’autre, savoir la beauté qui chante vrai.
Deux solitudes se complétant, se limitant, se cherchant, s’épousant.
Deux solitudes, force de vie dans le néant.
Dans le silence, entendre les palpitations du monde et de l’âme.
Dans le silence, murmurer sa tendresse et bénir la rencontre.
Lovées dans le trouble de l’intense, deux solitudes abandonnées dans le tumulte des errements.
Immensément présents pour moi, respectueux, ils m’offrent leur désert et leur regard tout simplement. Ils m’apprennent l’humilité, la douceur, la patience, le plaisir, tout simplement.
Ils sont le désert. Ils sont … simplement.
Nous finissons la soirée autour du feu, complices, rieurs, amis … bien qu’il se fasse tard … mais quelle heure est-il ?
Nous bavardons à voix basse et ne voulons pas briser cette magie.
Dans mon duvet, les yeux grands ouverts, j’observe les étoiles filantes qui traversent le ciel et mes vœux s’élèvent vers cet infini. Ils sont dédiés à mes amis du désert et ils leur disent merci. Choukran pour tant de générosité et de gentillesse.
Sous les étoiles, ils prient. Silencieusement, leur prière s’élève telle une offrande ; ils se prosternent et éloignés du campement, leur ombre est une invitation à la méditation.
Malgré la fatigue de la journée, malgré le froid qui transperce, malgré le sommeil, ils n’oublient jamais leur incantation au ciel étoilé, et le front touchant le sable, ils offrent leur foi sans faille à ce désert qui interpelle et dérange.
Etrange pouvoir que celui des pierres et des dunes sur la compréhension du monde et de l’insondable.
Etrange pouvoir que celui du minéral sur l’inexprimable.
Etrange pouvoir que celui du dénuement sur l’absolu.
Les nomades se nourrissent chaque soir de cette extraordinaire fusion du naturel et de l’impalpable.
Mes prières s’unissent aux leurs en une muette pensée et s’envolent vers le même Dieu.

Je me noie dans ce sable avec désir, avec passion … Je suis guidée.
Avec une infinie patience, ils m'apprennent à aimer.
Avec une infinie douceur, ils m'ouvrent une à une les portes de ce minéral, de la compréhension du désert.
Nos yeux se cherchent pour mieux vibrer.
Nos mains se tendent pour mieux désirer.
Nos lèvres se taisent pour mieux entendre.
Je me coule en eux comme je me fonds dans le désert.
Je me niche en eux comme je me blottis contre la dune.
La force du désert me possède.
Je ressens la fusion du monde dans ce minéral empreint de néant.
Je fais partie intégrante de ces millions de gouttelettes qui m'entourent. Osmose si vraie où je perçois la dimension sans limites de la vie. Purification de l'être dans l'oasis de paix.
Mon intime malaxé pour mieux exister.
J'appartiens à cette terre qui se meut sous mes pas, et qui se donne à ma solitude.
Le désert est un cri d'amour. Le désert est un océan de désirs. Le désert est un voyage dans le silence.
Au milieu de nulle part, les paysages s'illuminent pour mourir dans un ciel d'éternité.

Je parcours les dunes. Je lis le ciel. J'apprends le désert.

jeudi 12 mars 2009

Dans le petit matin frisquet, avant que le campement ne s’éveille, j’ouvre les yeux. Tout est bien, à sa place, et j’assiste à la naissance du jour, perchée sur une dune. Le soleil pointe entre deux rochers, au loin, rond comme la terre. Tout se fond dans la douce clarté d’un matin nouveau.
Les fils de l’obscurité s’étirent et ne laissent derrière eux que le silence des rêves.
En moi, s’élève une prière qui salue l’éclosion de l’éternel recommencement, la promesse d’une espérance, d’un enthousiasme, comme une bénédiction. La peau frémit dans la fraîcheur matinale et les yeux cherchent et captent la paix d’une aube pleine de mon devenir. Le soleil rougeoit tout là-bas et des paillettes de feu embrasent l’horizon. Mais je ne sais encore rien du désert.
Et pourtant, aujourd’hui, je me sens neuve, lavée de toute trace de civilisation. Je commence à devenir sable, soleil, nomade … je commence à me noyer dans ce « rien ».
Je veux être du désert ; je veux être comme Lella, percevant l’imperceptible. Son univers est intérieur et son regard en est le miroir. Il est le prince d’un royaume sans limites, dans le grand vent du monde. Il est la brise dans le brouhaha des hommes, musique du monde.
Son silence est transparent et son souffle m’entraîne dans cet abîme qui me fascine et m’emporte au loin, si loin.
Le petit déjeuner est vite avalé et depuis quelques jours, j’apprends à baraquer les chameaux et à les charger. Les charges sont lourdes, mais je veux y arriver. Il faut deux chameliers pour un chameau. Les grosses cordes râpeuses me scient les mains dont les ongles ont déjà la couleur du désert ! Il faut bien équilibrer les sacs, et chaque chose a sa place. J’ai l’impression que tous les nœuds s’enchevêtrent alors que tout est pensé et coordonné. Passer la courroie sous la panse du chameau m’inquiète un peu, mais non, il ne bouge pas, pas plus quand il faut retirer celle sous la queue ! Quatre fois par jour, nous accomplissons ces gestes et petit à petit, ils deviennent plus sûrs et les chameliers me font confiance, … même s’ils vérifient la solidité des nœuds ! Ils m’appellent la « chamelière du désert » ! et je m’apercevrai au fil des circuits que le téléphone arabe n’est pas une légende ! Dans les différents campements traversés ou au gré des rencontres, chaque nomade sait qui je suis … la dame blanche qui s’occupe des chameaux ! Quand j’accompagnerai des groupes et que le nombre des chameaux augmente considérablement, je file aider les chameliers et tous rient de me voir au milieu de cet attroupement, courant d’un chameau à l’autre, donner un coup de main. Je pense avoir passé avec brio le CAP de chamelière et même le BP !!
Et nous voilà partis pour une ènième journée de marche.
A l’heure de la pause, après le repas, je pars me promener dans les dunes.
Prière sans nom dans ce ciel azur. Heures pleines et voluptueuses où je me sens baignée d’une grande paix intérieure. Je sais pourquoi je suis là. Je sais que je reviendrai. Le temps s’est effacé ; le temps est mort. Je suis ce sable et ce désert. J’existe, je vis.
Arrivée au campement après une balade en chameau, autour d’un feu pour un moment de détente, Lella et moi essayons de parler français. Tout est calme et serein. Près de nous, un campement de nomades. Un minuscule village de tentes, perdu dans l’immensité écrasée de solitude … la grand-mère de Lella habite là et il nous quitte pour passer la soirée en famille.
Après cette nuit humide et glaciale, nous marchons dans les dunes. Nous allons au puits remplir les jerricanes : eau, genèse et symbole de vie. L’eau est là, discrète au fond du puits. Presque inexistante, elle se laisse désirer avant de s’évanouir.
Le soir, je prolonge ces instants magiques avec mes amis autour d’un feu, buvant du thé qui m’empêche de dormir !