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Quai Docteur Girard - 38520 Le Bourg d'Oisans, Alpes du Dauphiné - Isère, France

lundi 3 août 2009

Je n’ai aucune peur du désert, ni aucune peur de ma vie, de l’échéance d’une vie. Je n’ai aucune peur des brumes balayant les décombres de mon passé. Je n’ai aucune peur du poids du silence sur le manuscrit de ma vie. Je n’ai aucune peur du lendemain, de ce jour d’après la nuit qui engendre les réveils pleins de promesses … le réveil du désert plein de vie contenue, de vie que l’on sent sourdre de la terre, de cette terre stérile en apparence et pourtant riche de mon devenir, de ce bouillonnement de vie dans chaque grain de sable qui ponce l’être humain jusqu’au noyau. Le livre de ma vie ne parle d’aucune peur que pourrait engendrer la solitude du désert. Aucune peur face à moi-même, face à la vie, face à la mort. Jaillissement extraordinaire de sève jusque dans les prémices d’un inéluctable départ. Le désert épouse la vie, comprend la mort pour mieux aimer la vie. Non, aucune peur de l’abandon de la vie puisque le désert me montre le chemin de la vraie liberté dont je saisis le sens profond en me nourrissant de sable et de vent.
… Des lendemains comme aujourd’hui ou comme hier dans la fugacité de l’éternité …
Je nourris le brasier de ma vie aux feux de la solitude et de l’abandon. J’aimerais que le désert m’initie à tous ses secrets. Alors je suis sans complaisance avec moi-même ; je me dépouille de tout pour tenter de comprendre.
Parcours sans cesse initiatique qui érode un peu plus l’écorce de ma vie, que je gratte pour en extraire le suc. Je marche, étreignant la prière de la vie sur l’autel du désert.
Comme un alléluia face à l’horizontalité, je me meurs à chaque pas pour renaître à cette autre vie, pour me déshabituer de toutes ces années d’à-peu-près que je transporte malgré moi, pour réapprendre à vivre … s’il en est encore temps.

La Vallée Blanche est une procession d’oasis immergées au cœur des dunes. Quand la fatigue se fait sentir, l’or des sables me murmure les contes de ce grand Sahara qui n’en finit pas de ressusciter. Et comme par miracle, des ondes d’énergie m’envahissent pour me faire avancer, encore et toujours. Quand les efforts sont récompensés par la paix des bivouacs et l’histoire du ciel étoilé, ma vie devient transparente et limpide comme l’eau. Mon habit se détache et l’arbre de vie se dessine alors au cœur de ma nudité, tronc s’élançant sans ramification, tourné vers l’Essentiel, ayant rejeté les faux-semblants. Ca fait mal de se desquamer, d’apprendre à désaimer ce qui n’est pas important, de s’abandonner à une autre dimension pour qu’enfin la vraie source de vie éclate en soi.
Je vis chaque soir cet éblouissement de perte d’identité pour me façonner un autre devenir, un autre « moi », même si le processus est douloureux, même si le miroir ne renvoie pas l’image que je souhaite.
Lorsque la nuit se fait noire et me drape de filaments célestes, je fais corps avec le désert et vole à la rencontre de moi-même. L’union est brève, intense et cette fraction de seconde me chuchote que l’existe enfin autrement.
Faut-il être quémandeur pour partir à la recherche de soi ? Je ne sais pas. Je ne sais que l’empreinte au fer rouge dans le sang de ma vie qui me pousse à aller au-delà de la facilité, au-delà du commun. Je ne sais que cette force incontrôlable qui me possède et me projette dans le royaume de l’absolu. Chaque pelure n’est plus qu’un souvenir, abandonnée sur les terres d’une vie fantôme, aux portes des territoires vierges où tout est encore possible. Déchiquetés, broyés, les masques tombent en poussières pour mourir doucement. Dans les bras du sable, la chrysalide s’ouvre en une corolle d’or et s’épanouit à la lumière de l’astre. Dans l’opacité de la nuit, j’entends le chant des sables qui se fond dans l’insondable et je rêve au temps qui doucement s’enfuit.
Je ne peux plus me projeter dans le passé ou regarder en arrière ; la pensée bute sur le présent, obstinément. Tout est plein dans l’instant « T » et seul compte cet instant. Parcourir le passé n’a aucun sens puisque tout prend une autre valeur. Essayer de rebondir avec ses acquis n’est que pure fiction puisque tout est neuf et sollicite d’autres yeux.
Je dois bannir la peur de ma perte d’identité car de cet abandon va naître un autre moi-même. Je dois me laisser dominer et ne plus agir. Alors seulement de plein fouet, je reçois la lumière du désert qui éclaire ma route et me fait découvrir différente. J’accède enfin au dépouillement complet et je sais que je suis prête pour l’autre monde. J’oublie, comme une évidence, mon parcours de vie jusqu’alors pour ne tendre que vers mon moi profond.
« Etre désert » : rêve devenu réalité ; je respire le désert ; je vis le désert ; je sens le désert et je suis désert.