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Quai Docteur Girard - 38520 Le Bourg d'Oisans, Alpes du Dauphiné - Isère, France

vendredi 12 juin 2009

Au-delà du regard


Le désert est là, chaos de pierres et de failles, avant la fontaine poussières d'or sur la démesure. Je transporte mon baluchon de nomade, revenant sans cesse au point de départ. Dans ce sac, ma seule richesse : vêtements ayant déjà bien bourlingué, mais toujours curieux d'autres horizons. J'emporte peu pour ne pas m'alourdir; je m'habille seulement de silence et de vide.

Oasis de Chinguetti … poussières innombrables dans l'infini retrouvé. Mes yeux épousent le soir, cherchant la khaïma comme un espoir qui transporte mes pas.
Pourquoi retourner sans cesse dans ces mêmes lieux, me dira-t-on ? Je n'ai pas de réponse, seulement le désir profond d'errer sur les chemins de l'ailleurs pour comprendre le sens de ma vie. Il ne faut pas grand chose pour partir à la rencontre de soi : deux chameliers, trois chameaux, quelques vivres, de l'eau et le regard rivé au loin.

Désert de pierres sans fin … chaque pas est un franchissement d'obstacles plus ou moins importants, plus ou moins visibles. Cela ressemble étrangement aux aléas et aux embûches d'une vie. Le vent est là, qui m'oblige à baisser la tête, à courber le dos, mais qui ne peut m'avouer vaincue. Il ne peut m'empêcher de porter les yeux au-delà
d'un horizon inexistant mais que je sais être. Un horizon de pierre, vrai désert désertique, sans courbe, sans relief. Je tourne sur moi-même à la recherche d'un hypothétique point de repère … il n'y a rien. Rien que ce magma de roches, brunes et noires, à perte de vue. Les chameaux avancent lentement, cherchant leur passage dans ce paysage apocalypse. Sidi, le frère de Lella, tire sur la corde et leur montre le meilleur itinéraire. Lella et moi avançons plus vite, silencieusement, chacun perdu dans ses pensées. Le soleil voilé confère une atmosphère encore plus austère à ces lieux. Nous devons être les seuls à franchir ces étendues vertigineuses de platitude et d'infinitude. C'est la première fois que je suis confrontée à ce désert, non pas une parenthèse au milieu des dunes, mais l'implacable et inexorable désert de roches. Terrain où ne subsiste aucune vie … si … des scorpions noirs se fondant dans le sombre des lieux.
Je ne pose aucune question; j'ai appris à me taire et je ne sais combien de temps va durer cette traversée. Pierre après pierre, nous grignotons du terrain, mais l'horizon recule comme un mirage. Lella et Sidi savent où mènent les pas; moi, non. Je sens intuitivement que je vis quelque chose d'exceptionnel malgré cette marche oppressante. Je goûte à la dimension pierreuse d'un désert qui m'était inconnu, ou seulement perçu à petites doses. Là, je me sens étrangement à l'origine du monde, dans un enchevêtrement de caillasse et d'uniformité. Les chameliers savent m'offrir l'inattendu, des endroits hors des sentiers battus, où seuls résonnent nos pas. Ils connaissent mon exigence de solitude et mon besoin de différence.
Cette marche est difficile, non pas physiquement, mais psychologiquement. Elle requiert l'aptitude à transformer la lassitude du paysage en poésie, car « de l'ordinaire peut jaillir l'extraordinaire ».
Un premier bivouac au son du vent, sous la tente dressée qui m'enveloppe comme un cocon. Je me sens à l'abri de toutes les vicissitudes, perdue quelques part dans un no man's land, mon regard au creux du feu, écoutant la toile se plier sous les assauts du vent. Il fait bon s'endormir ainsi, sachant que rien ne peut m'atteindre.